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Le ministère français des Armées et le super ordinateur américain : La souveraineté française en péril

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Le ministère français des Armées a choisi un concurrent états-unien afin de développer un ordinateur «supercalculateur» pour les systèmes militaires. Ce choix provoque, paraît-il, une fronde parmi les souverainistes de l’Hexagone.

 

Synthèse Samir MÉHALLA 

 

Un mécontentement si fort que même les murs, d’habitude si épais, du monde de la défense et du renseignement ne parviennent pas à en étouffer le bruit, selon Mediapart. Ils accusent le ministère des Armées de compromettre des décennies d’indépendance de la défense française, de mettre en péril la souveraineté du pays.

 

La raison est le choix du ministère français des Armées de retenir la candidature du tandem Hewlett Packard Enterprise (HPE)-Orange face à celle dAtos, pour fournir un supercalculateur. Ce superordinateur, qui doit être mis à la disposition des armées, du renseignement et des industriels de la défense vise à améliorer, avec laide de l’intelligence artificielle, les capacités électroniques et les algorithmes embarqués dans les systèmes militaires et de défense.

 

L’affaire, révélée par un article de la Tribune le 3 octobre, suscite aussi des interrogations. Certains députés ont fait part, auprès du ministère des Armées français, de leur incompréhension de voir retenir une société états-unienne, «a fortiori s’agissant dun équipement qui a vocation à être protégé par le secret-défense», comme le relevait le président du groupe LR à L’assemblée, dans un courrier adressé au ministre.

 

 

Mesurant le péril, Sébastien Lecornu et son cabinet se sont démultipliés, selon nos informations, auprès des militaires et des parlementaires pour tenter de circonscrire l’incendie. Dès le 14 octobre, le ministre français des Armées justifiait ce choix devant les députés «inquiète dune atteinte à notre souveraineté nationale».

 

Face aux politiques français, Sébastien Lecornu a tenu les mêmes propos rassurants. Il n’y avait, selon lui, aucun accroc dans la doctrine de défense française, et il ne fallait pas confondre «souveraineté et sécurité», a-t-il déclaré, n’hésitant pas à en appeler au passage aux mannes du général de Gaulle pour défendre sa position. Une prestation qui a laissé cependant des parlementaires sur leur faim : «On ne sait rien sur ce contrat. Le ministère ne nous donne aucune information», déplore un député LFI, membre de la commission.

 

Afin de calmer les esprits, Sébastien Lecornu avait promis de faire vérifier le projet de contrat par le Contrôle général des armées. En moins de dix jours, ce dernier a analysé les offres et rendu son rapport. Et le contrat de 100 millions d’euros a été signé pour le compte de L’agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de défense, (Amiad).

 

Mais la révolte ne sest pas calmée pour autant. On dénonce «la trahison de Sébastien Lecornu», sa volonté «de ne pas rendre compte de ses actions devant le Parlement (français)». Irrité par cette contestation, le ministre français des Armées agite menaces et représailles et dénonce publiquement l’activisme «de lobbies parisiens».

 

Une attitude incompréhensible

«Le gouvernement (français) a une attitude incompréhensible dans ce dossier», commente un observateur. Le choix du ministère des Armées de retenir la candidature de HPE-Orange, plutôt que celle dAtos, en grande difficulté, est de fait inexplicable.

 

«Ils se parlent au sein du gouvernement ?, s’interroge un connaisseur du dossier. Une nouvelle fois, l’exécutif fait preuve dune totale incohérence, mais en matière industrielle, c’est une question d’habitude. Dun côté, l’Élysée et Bercy disent vouloir nationaliser les actifs stratégiques dAtos, avec l’argent du privé d’ailleurs, notamment de Dassault et de Thales. De l’autre, le ministère de la Défense choisit son concurrent américain».

Atos est censé être prioritaire. L’exécutif français a promis d’organiser la sauvegarde de tous les actifs stratégiques issus de lancien Bull, racheté en 2014 par Atos. Il entend préserver notamment les supercalculateurs utilisés pour la dissuasion nucléaire, les systèmes de commandement du programme Scorpion utilisés par larmée de terre, et ceux des forces navales, les réseaux de communication embarqués dans les Rafale et les activités de cybersécurité pour le renseignement.

 

Le gouvernement français sest livré à moult déclarations et gesticulations. Sans aucun résultat. Début octobre, le ministère des Finances a annoncé la fin des négociations pour racheter ces actifs : loffre de 700 millions d’euros a été jugée insuffisante, par les nouveaux propriétaires dAtos. Le ministère français des Finances, toutefois, a annoncé son intention de poursuivre les négociations, persuadé «du bien-fondé de cette opération».

 

Dans ce contexte, attribuer un nouveau contrat à Atos pour développer le recours de l’intelligence artificielle, aurait été un signal fort de soutien pour lex-Bull.

«C’est ce qui sest fait pendant des années. Les contrats publics, et particulièrement ceux de la défense, ont servi à aider les industriels à développer nos propres technologies», rappelle un ancien haut responsable du secteur de la Défense. C’était d’ailleurs ce que semblait préconiser le directeur de l’Amiad, Bertrand Rondepierre. Juste après la création de cette agence, il se fixait comme ligne de conduite « dinternaliser la compétence pour se donner une souveraineté sur les piles technologiques de lIA».

 

Les supercalculateurs dAtos sont-ils performants ou non ?

 

Un député LFI, Sébastien Lecornu et Bertrand Rondepierre semblent manifestement avoir changé d’analyse à ce sujet. Le ministre a expliqué aux parlementaires qu’il est impossible d’attendre le temps de développement de ces technologies.

 

«En matière dIA, il n’y a pas de souveraineté pour l’instant. [] Nous dépendons de puces d’origine américaine. Notre premier sujet est de vite acquérir la capacité de puissance de calcul sur un supercalculateur classifié», qui, promet-il, sera déconnecté du réseau, donc inaccessible à toute interférence extérieure.

 

«La France est dans les choux en matière d’intelligence artificielle, face aux géants comme Google ou Microsoft. Mais comment le pouvoir peut-il le découvrir maintenant, alors qu’il est en place depuis sept ans ?», s’interroge un observateur.

 

«Cela pose un problème préoccupant, poursuit de son côté Aurélien Saintoul. Les supercalculateurs dAtos sont-ils performants ou non ? Dun côté, on dit qu’ils le sont pour la dissuasion nucléaire, de l’autre, on nous explique qu’ils ne le sont pas pour développer des programmes d’intelligence artificielle».

 

C’est désormais la seule question qui s’impose : Atos est-il encore viable ? En grande difficulté depuis plus de deux ans, les dirigeants du groupe de services informatiques, tout comme les responsables politiques, n’ont cessé de temporiser, de repousser les échéances, de maquiller la réalité, laissant chaque jour la situation se dégrader un peu plus. La confiance a disparu : le groupe perd client sur client, contrat sur contrat. En un an, son chiffre d’affaires sest réduit de 10 % et ses pertes s’accumulent.

 

Le 24 octobre, le tribunal de commerce de Nanterre a estimé quAtos est toujours viable et a validé le plan de sauvegarde, présenté par le groupe et ses créanciers. Ceux-ci prévoient que sur les 5,3  milliards de dettes accumulées dans le groupe, 3 milliards seront convertis en actions. Une augmentation de capital, de 1,7 milliard d’euros est également prévue, provoquant une dilution massive des actionnaires qui ont déjà tout perdu. Le plan doit être mis en uvre, dici à la fin décembre. Un nouveau dirigeant, Philippe Salle, ancien de McKinsey, a été nommé pour prendre la direction du groupe en février. C’est le cinquième en à peine deux ans. Il annonce déjà des efforts massifs. Le groupe prévoit de supprimer 2.250 postes en Europe, dont 380 en France, dans les deux prochaines années. Évidemment, la partie qui  regroupe les activités de cybersécurité, les grands contrats publics (carte Vitale, impôts, SNCF), est la plus menacée, en raison de la perte de grands clients, dont les JO. Mais ce plan ne suffira pas à sauver Atos.

Les créanciers, devenus propriétaires dAtos, croient-ils seulement au sauvetage du groupe ? Dans leur plan de sauvetage présenté au tribunal de commerce, ils ont prévu, comme le relève le blog Atos, de transférer tous les actifs de valeur, dans une double structure luxembourgeoise et néerlandaise. Une façon de préparer la vente à la découpe, sans avoir à payer le moindre impôt.

 

Cherchant à répondre à l’incompréhension générale, le ministre français des Armées insiste sur le fait que cette dépendance nest que provisoire. Dans trois ans, il faudra changer de supercalculateur. Dici là, il promet d’aider Atos à devenir «plus compétitif». Une annonce vue comme un «affront» par les ingénieurs de Bull comme par ceux du secteur de la Défense.

 

Une offre «anormalement basse»

Mais il y a un autre aspect qui intrigue les observateurs dans ce contrat : le choix du consortium Hewlett Packard Enterprise-Orange. Les deux groupes ne figurent ni lun ni l’autre, comme des leaders reconnus en matière de supercalculateurs et d’intelligence artificielle. Quest-ce qui a amené le ministère français des Armées à privilégier leur candidature ? Le prix, selon toutes les informations.

 

Une explication qui fait bondir les spécialistes du secteur de la Défense. «Si l’exécutif avait retenu ce seul critère au cours des soixante dernières années, alors nous n’aurions eu ni des missiles, ni des avions de combat, ni des sous-marins, ni industrie de défense, tout court. Cela coûte bien moins cher d’acheter des équipements sur étagère, tous américains», s’emporte un connaisseur du dossier.

 

Les interrogations sont dautant plus grandes que, de laveu même de Sébastien Lecornu, le consortium HPE-Orange a présenté une offre «anormalement basse». Le code français des marchés publics, y compris pour ceux portant sur la défense, prévoit toute une procédure en cas d’offre anormalement basse. Si celle-ci se révèle sous-évaluée, elle doit être rejetée. Mais d’autres calculs peuvent motiver une offre anormalement basse, comme celui d’entrer dans un marché jusque-là totalement fermé, de mettre le pied dans un secteur et de sy rendre indispensable, de récolter des informations et des données auparavant inaccessibles, bref de créer des dépendances dont le client n’arrive plus à s’extraire. Les grands groupes états-uniens ont montré à de multiples reprises, combien ils savaient utiliser ces armes.

S. M.

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