Malgré des tentatives de rapprochement, notamment dans le domaine de la formation et du partage d’expériences, les pays africains qui disposent de pétrole dans leur sous-sol éprouvent du mal à élaborer et suivre ensemble une réelle politique de coopération pour tirer le meilleur prix de cette richesse
qui s’épuise chaque jour.Qui vaut quoi au classement des grandes réserves exploitables de pétrole sur le continent africain ? Parlant de cette richesse naturelle, l’homme de la rue à Lagos ou à Luanda, à Alger comme à Malabo le clame souvent : l’Afrique est riche ! Et pillée, s’empresse-t-il d’ajouter. Pour illustrer ce lieu commun rien n’est cependant plus délicat car en la matière, les statistiques viennent généralement d’organisations étrangères ou de pays dont les multinationales exploitent le pétrole africain. Y compris quand c’est l’Association des producteurs de pétrole africains (APPA) qui publie des chiffres sur les barils d’or noir estimés ou sortis du sous-sol de l’Afrique.
Il faut tantôt recourir à l’américaine EIA (Energy Information Administration) ou au recueil de données de la Central Intelligence Agency (CIA World Fact Book) et, en dernier recours, à l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Quelle que soit la source cependant, les grandes tendances en la matière distinguent le Nigeria et la Libye. Le pays du défunt colonel Mouammar Khadafi abrite les premières réserves (48 milliards de barils selon un calcul de 2013) de brut et Abuja peut compter sur les siennes pour continuer à occuper la tête des plus grands producteurs continentaux. Ses réserves prouvées (37,1 milliards de barils en 2013) sont les deuxièmes de la région.
Les performances nigérianes sont donc justifiées à cet égard. A la différence du chaos au long cours qu’est devenu la Libye depuis l’intervention des alliés, exploiter le delta du Niger est bien plus aisé. Première économie africaine, le Nigeria se hisse naturellement au sommet de la pyramide. Pourtant, il doit importer une part du pétrole que ses 177 millions d’habitants (le pays le plus peuplé d’Afrique) consomment. Les autres pays producteurs sont bien loin d’égaler en brut certain mais à venir ces deux géants. L’Algérie tient 12,1 milliards de barils, trois fois moins que le numéro 2. L’Angola 10,4 milliards de barils et l’Egypte 4.
Perspectives de découvertes
Plus bas, la Guinée équatoriale (1,1 milliard de barils), le Ghana (660 millions). Au bas du tableau, on peut compter sur les barils béninois (8 millions), marocains (680 000) et éthiopiens (430 000). De tout petits fournisseurs d’or noir qui ne sont d’ailleurs pas pris en compte par l’APPA qui rassemble aujourd’hui dix-huit pays membres : Afrique du Sud, Algérie, Angola, Bénin, Cameroun, Congo, RD Congo, Côte d’Ivoire, Égypte, Gabon, Ghana, Guinée Équatoriale, Libye, Mauritanie, Niger, Nigeria, Soudan, Tchad. « Ensemble, ces pays détiennent la quasi-totalité des réserves et de la production de pétrole et de gaz de l’Afrique », selon cette association.
A en croire certains spécialistes, tel Honoré Le Leuch, la mesure des réserves n’est pas optimale. Un nombre croissant de compagnies investissent à travers l’Afrique pour découvrir et exploiter du pétrole et du gaz naturel, indique cet expert dans une étude publiée en 2010 (Le pétrole et le gaz naturel en Afrique : une part croissante dans l’approvisionnement énergétique mondial). D’après lui : « Les bassins sédimentaires y sont importants et certains, encore peu explorés, offrent de bonnes perspectives de découvertes, notamment en offshore profond ou dans les bassins intérieurs. Ceci explique, malgré certaines difficultés, la croissance des activités, des investissements et de la production d’hydrocarbures de ce très vaste continent aux multiples pays. Si historiquement les compagnies européennes y étaient et restent les plus actives, les compagnies américaines et asiatiques, notamment les sociétés nationales chinoises, y investissent également de plus en plus. En raison de la faible consommation du continent, la majorité de la production est exportée, d’où la place croissante de l’Afrique dans l’approvisionnement énergétique mondial. »
La garantie de disposer de cette marchandise durant des décennies aurait pu favoriser dès lors une politique commune d’exploration, de production et de commercialisation. Comme le clame l’APPA dans son acte de naissance. Mais rien n’est plus incertain sur ce front-là. Bien que l’APPA dans son programme commun en cours d’application ait entrepris de décloisonner le marché africain des hydrocarbures. Il est précisément question « d’harmoniser la nomenclature stratigraphique des bassins sédimentaires africains » en vue de faciliter recherches et exploration du pétrole. Avant cela, l’Association régionale des pays pétroliers a lancé une étude comparative des réglementations en la matière dans le but d’attirer autant les compagnies qui explorent le sous-sol et les territoires off-shore. Si sur ce plan, l’on observe que les plus grandes multinationales du pétrole sont d’ores et déjà présentes, il est à espérer qu’une telle étude qui est également un appel du pied, couplée au contrôle des ressources, permettra de maximiser les recettes. Dans cette optique et au terme de l’étude menée il y a trois ans, le modèle de contrat de partage de production produit par l’APPA en 2012 comporte trente-trois articles. Qui s’intéressent aussi bien à la période d’exploration qu’à la remise en l’état des sites, qu’à la valorisation du brut et des programmes sociaux. Il reste à mesurer les applications, pays par pays, de ce contrat-type qui inspire déjà plusieurs membres de l’APPA soucieux d’améliorer les règles du jeu.
Contrats déséquilibrés
Même en généralisant cette pratique contractuelle commune, les Africains auront encore du mal à tirer le meilleur parti de leurs énormes ressources : 9220 millions de barils par jour sur les 75.488 produits dans le monde au premier semestre de 2012 provenaient d’Afrique selon l’EIA. L’opportunité que constitue l’harmonisation des politiques pétrolières pour la dizaine de producteurs africains n’en est que plus illustrée. Pour autant, le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) parie lui, sur le développement des ressources alternatives : les fameuses énergies renouvelables. Le programme continental de développement économique qui s’étale jusqu’à l’an 2063 préfère en effet une économie basée sur le savoir et la ressource humaine de qualité.
Toutefois, s’exprimant en juin 2015 comme Président du Nepad à Johannesburg, en Afrique du Sud, le président sénégalais Macky Sall a réclamé des contrats miniers et pétroliers «plus équitables» pour les Africains, face aux autres acteurs mondiaux du secteur. Selon l’Agence de presse sénégalaise, M. Sall a souligné combien «les contrats d’exploitation restent souvent déséquilibrés au détriment des pays dits producteurs, dans le partage des ressources comme dans le système de taxation». Ce que l’APPA aura déjà remarqué paraît pour le chef de file des dirigeants africains comme un obstacle à l’enrichissement des peuples du continent : « Beaucoup de nos pays peinent encore à traduire dans ces contrats un équilibre entre les intérêts de l’investisseur, des populations locales et de l’Etat. » S’il constate que la plupart des pays concernés ne disposent pas de cadres formés pour négocier au mieux les contrats de partage de la production, alors qu’en face les majors du pétrole sont accompagnés par les «meilleurs experts », il en arrive à la même conclusion : travailler ensemble pour que le pétrole soit vendu au juste prix, taxé selon sa vraie valeur et les quantités réellement extraites et participe ainsi à améliorer les ressources des Etats pour la justice sociale.
Le seul hic provient peut-être de ce que le Président Sall compte encore pour ce faire sur les pays du G7 dont proviennent les grandes compagnies : BP, Exxon, Total, etc. Pour lui comme pour les producteurs, le schéma est d’ailleurs simple : c’est l’alliance ou la perte irrémédiable car le pétrole, comme chacun ne le dit pas assez, est une ressource qui ne se renouvelle pas.
Par Jean-Baptiste KETCHATENG