«Nous dénonçons la dégradation des conditions de travail»
Crésus : Les cas de contamination à la Covid-19 sont en augmentation vertigineuse depuis quelques jours. Quelle lecture faites-vous des chiffres officiels et comment expliquez-vous cette flambée ?
Dr Lyes Merabet : Effectivement, la situation sanitaire est grave et l’épidémie a nettement progressé dans plusieurs wilayas, enregistrant des chiffres record. S’il est établi, sans aucun doute, pour des considérations de moyens de diagnostic et de dépistage que les chiffres officiels restent loin de la réalité du terrain, il est important de dire que l’instabilité et l’aggravation de la situation épidémiologique ont été favorisées par le non-respect des mesures barrières ou des protocoles de prévention sanitaire. Ces derniers, qui devaient accompagner la rentrée sociale (professionnelle, universitaire et scolaire), les déplacements des personnes favorisés par le retour des transports, la saison estivale, l’organisation de réceptions familiales (mariages, enterrements et autres) et, enfin, les rassemblements et les meetings lors de la compagne électorale pour le référendum sur la Constitution.
Sur le terrain, les professionnels de la santé vivent très mal cette situation, incriminez-vous une quelconque partie ?
Les professionnels de la santé sont dans une situation de stress absolu. Sollicités en continu, ils subissent dans beaucoup de wilayas la pression des conditions de travail de plus en plus difficiles, le manque de moyens de protection et l’insouciance de certains citoyens qui continuent de nier l’existence du danger sanitaire à travers des comportements qui ne respectent pas les mesures de protection qui sont pourtant très simples. Plus de 8.500 cas de contamination sont recensés parmi les professionnels de la santé, dont 135 décès (secteurs public et privé). Sur l’ensemble de ces décès, 115 font partie du corps médical. Nous dénonçons la dégradation des conditions de travail et nous revendiquons plus de moyens pour pouvoir accompagner et répondre aux besoins de soins d’urgence mais avec tous les moyens de protection. Les pouvoirs publics doivent s’impliquer encore plus dans ce sens et apporter rapidement des solutions afin de rassurer les professionnels de la santé et soulager les citoyens en quête de prise en charge. Les professionnels de la santé ne comprennent pas les raisons qui bloquent, à ce jour, la reconnaissance de cette maladie de Covid19 comme maladie professionnelle, alors que c’est fait dans plusieurs pays depuis les mois de mars et avril 2020.
Il semble donc que les mesures prises par les pouvoirs publics ne donnent pas les résultats escomptés, que préconisez-vous pour y remédier ?
Le dispositif réfléchi et mis en place chez nous laisse cette impression d’une lecture de court terme pour une crise sanitaire qu’on pensait de moins envergure chez nous. Je rappelle les affirmations trop rassurantes de certains experts dans leur évaluation de la situation sanitaire, conjuguées à un discours politique triomphant au mois de septembre dernier. Cela a boosté le relâchement dans le respect des mesures barrières, déjà présent chez les citoyens et les différents secteurs responsables de la mise en place des différents protocoles de santé. Nous devons reprendre immédiatement le chemin de la sensibilisation et de la mobilisation citoyennes car c’est la clé pour casser la chaîne de transmission et freiner rapidement la propagation de l’épidémie. Les enquêtes épidémiologiques de terrain doivent s’intensifier pour définir une cartographie de l’étendue de la contamination la plus proche possible du terrain et agir en conséquence. Enfin, il faudra réunir les meilleures conditions pour une prise en charge médicale et humanisée de nos malades, tous nos malades, y compris ceux qui posent d’autres problèmes de santé et que le système a négligés du fait de sa désorganisation.
M. C.