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Entretien

Quel avenir pour Gara Djebilet ?

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 Par : M. Nacereddine Kazi Tani

 Vers 1200 avant J.C. L’ère du fer et ses bas fourneaux enterre l’ère du bronze. Elle avait débuté pourtant il y a quelques 6000 ans en forgeant du fer natif d’origine météoritique et n’a pu réduire les minerais oxydés de fer, c’est à dire fonder la sidérurgie qu’un millénaire plus tard.

La Méditerranée : Anatolie, Égypte, Maghreb ont été les principaux foyers de ce saut technologique et civilisationnel. C’est dire que le fer a été exploité et traité de longue date en Algérie, en témoigne la toponymie : Djebel Hadid etc.. La colonisation a très tôt ouvert, dès 1860 des exploitations ferrifères (Souma (Alger) 1861, Aïn Mokra (Annaba) 1865…). Au total une cinquantaine dont le minerai était très apprécié en France et a servi à construire, entre autres, la célèbre Tour Eiffel.

En 1935 Nicolas Menchikoff découvre dans le Bou Bernous le gisement de fer de Fedj Mléhas où dorment quelques 700 millions de tonnes de fer en 6 lentilles de minerai. Mais la découverte majeure par Pierre Gevin en 1952 aux confins algéro-mauritaniens, au lieu-dit Gara Djebilet a fait rêver en raison de la teneur en fer-métal du minerai, près de 60%, et de l’énormité des réserves. Une exploitation et une évacuation portuaire par Agadir a même été envisagée en 1955. Cependant, la ressources ne se limite pas au seul gisement de Gara Djebilet, d’ailleurs passablement phosphoreux ce qui constitue un frein à son emploi en sidérurgie.

Il existe des dizaines de gisements dans le Paléozoïque du Sahara qui totalisent 24,5 milliards de tonnes mais malheureusement tous très phosphorés et donc sans avenir sidérurgique sans déphosphoration onéreuse, Mais il existe dans les terrains plus anciens (2 à 3 milliards d’années) du Nord du Hoggar du fer magnétitique en grandes quantités (plusieurs milliards de tonnes) non contaminés par le phosphore, bien moins éloignés des ports que celui de Gara Djebilet et plus proches des puits gaziers et des eaux fossiles du Continental intercalaire.

Il s’agit par exemple des gisements d’Ihedane où les réserves estimées du BRMA sont de 3 millions de tonnes au mètre enlevé et des teneurs de l’ordre de 50%, le gisement de l’Ounane est également remarquable, l’Aleksod aussi et dans l’In Ouzzal où des magnétites parsèment le reg…

Caractéristiques du gisement de Gara

Le gisement de Gara Djebilet recèle 2,231 milliards de tonnes de fer-métal extractible à partir de 4,654 milliards de minerai de teneur moyenne de 48% variant de 30,1 à 56,7%.  La partie la plus riche se situe à la Gara centrale . Par ailleurs, les données analytiques montrent une évolution en enveloppes successives, la plus interne étant la plus riche mais également la moins phosphatée (in G. Matheron 1955).

Il faut noter que ce sont là des données minimales car ne sont pas prises en compte les réserves souterraines non encore explorées. C’est un minerai de fer (Fe2O3=79,4%= Fer-métal 55,6 % ) phosphoreux (P2O5=1,38% soit 0,6% de Phosphore) et accessoirement titanifère (TiO2:0,17%) et vanadifère (V2O5 :0,08%) qui peuvent donc être coproduits avec le fer.

La plupart des gisements de Titane et de Vanadium dans le monde sont associés au Fer à des teneurs proches. Mais à l’inverse de Bayan Obo gisement chinois de Terres rares et de fer, Gara Djebilet est anormalement appauvri en Terres rares, à peine 0,0144%, 6 fois moins que la moyenne de la croûte terrestre. Enfin, les travaux de Ch. Courtois (1973) montrent qu’il existe une différenciation minéralogique dans le minerai de ce gisement allant d’un faciès très enrichi en magnétite à un faciès très enrichi en hématite..

De ces variétés minéralogiques  on constate que : 1) plus le minerai est riche plus il est magnétitique et plus il est pauvre en chaux apatitique, donc en phosphore. 2) Que le minerai est enrichissable par voie magnétique. Sur le plan pétrographique et textural, le minerai est oolithique, c’est à dire constitué d’un nucléus de quartz ou d’apatite (minéral phosphaté) enveloppés de plusieurs couches d’oxydes de fer. La taille d’un oolithe est de l’ordre de 50 microns (µ), son nucléus d’environ 10µ.

Valorisation du minerai de Gara Djebilet.

Le phosphore est appelé poison du fer car il le rend cassant. Pourtant toute l’industrialisation de l’Europe occidentale de la fin des XIXème et XXème siècles est basée sur la sidérurgie d’un minerai de fer de teneur médiocre (30%) et phosphoreux (1,8% P2O5) et réputé oolithique.

Il est épuré grâce à un procédé sidérurgique inventé en 1877 dit procédé Thomas et les scories phosphorées séparées des coulées de métal sont valorisées comme engrais. La question qui se pose alors, pourquoi le fer lorrain et pas le fer de Gara Djebilet qui a des contenus phosphorés équivalents ? La réponse est d’ordre topologique, textural, la minette de Lorraine est constituée de fausses oolithes, en vérité des pellets c’est à dire des micro-déjections de vers arénicoles.

Dès lors le phosphore est réparti de façon homogène et non concentré dans un nucléus. Pour atteindre le phosphore et l’éliminer par voie chimique (lixiviation) cette texture à nucléus impose un broyage très poussé à 10µ, une farine coûteuse.  Cette opération a un coût : 21€/tonne de minerai.

La suite de cette opération consiste à évacuer le phosphore  par lixiviation acide. Il s’agit de solubiliser l’apatite (phosphate) présente suivant une équation chimique élémentaire. Pour simplifier, disons que pour réaliser cette opération sur la poudre de minerai micronisé, il faut alors 37 kg d’acide sulfurique pur  pour déphosphorer 1 tonne de minerai à 1,8% de P2O5 (phosphate).

Cet acide a également un coût. Quoiqu’il en soit, il y a un surcoût pour lixiviation.  Les autres surcoûts engendrés par l’exploitation de Gara Djebilet relèvent de la distance de transport (1600 km) par train minéralier ou par pipe (minéroduc), l’amené d’énergie, électricité ou hydrocarbures, l’alimentation en eau des chantiers et installations sachant qu’il n’y a que 2 sources dans la région avec un maigre débit : 5m3/jour pour Aouinet Legraa et 0,5m3/j pour la source de Gara Djebilet, juste de quoi abreuver les troupeaux de chameaux. Au final le prix à la tonne du minerai importé, titrant 65% de fer qui est de  73,4$/t est doublé ou davantage par les surcoûts engendrés par l’exploitation de Gara Djebilet.

Il faut signaler, par ailleurs, qu’il existe de beaux gisements de magnétite-hématite non phosphorés, plus proches des réserves d’eau du Continental intercalaire et d’Hydrocarbures (Tin Fouyé Tanbankort) et moins éloignés de la côte nord algérienne (1100 km) c’est le cas d’Ihedane Cependant, si pour des raisons politiques qui nous échappent la valorisation du gisement constitue un objectif incontournable, il existe une solution sidérurgique qui accepte du minerai passablement phosphoré cru (brut, sans traitement minéralurgique) : le procédé Strategic Udy.

Et qui n’a jamais été testée pour le minerai de Gara Djebilet. Il accepte des minerais crus, phosphoreux jusqu’à une certaine limite en Phosphore fixée à 0,8% .Inventé dans les années 50 du siècle dernier, pour convertir une variété de nuances et de types de minerais de fer en acier semi-raffiné , En utilisant ce nouveau procédé, Udy a pu contourner à la fois le haut fourneau, le four à coke et le , traditionnellement utilisé à cette fin.

 Le procédé Strategic Udy

Le procédé consiste en un mélange de minerai, castine (calcaire) et charbon, de granulométrie de 6 à 10 mm, qui est introduit de façon continue dans le four tournant chauffé en partie par les gaz à forte teneur en CO qui se dégagent du four électrique. Le minerai y subit une pré-réduction, un grillage et un chauffage poussé et le charbon, une semi-cokéfaction. Les produits obtenus sont déversés dans la zone de fusion au moyen de trémies calorifugées. Le procédé  nécessite une installation de préparation des matières premières : concassage et criblage, un four tournant pour une pré-réduction et un four électrique pour réduction finale. Le réducteur est du charbon (lignite à anthracite).

La teneur en fer du minerai peut être faible, jusqu’à 33% métal. Le fer traité peut être  : a) ordinaire, b) de recyclage, c) latéritique, d) titanifère, e) sulfureux (jusqu’à 1% de S), ou f) phosphoreux (jusqu’à 0,8% de P), La température dans le four tournant est à moins de 1100°C.

La réduction complète et la fusion avec ajout éventuel de charbon cokéfié se réalise dans un four à arc. Le métal liquide est une fonte ou semi acier car la teneur en carbone est de 4 à 0,6%. Enfin le procédé est possible dans des unités de faible production (300t/j).

Il nous semble que ce procédé UDY peut répondre aux problèmes du grand gisement de fer de Gara Djebilet en prenant comme base les analyses de G. Matheron (1955) qui fixe des  teneurs moyennes de Fer-métal de 55,6% et Phosphore de 0,6%, basées un nombre très élevé d’échantillons.

La lixiviation acide proposée par divers opérateurs et retenue comme solution sidérurgique par notre pays présente un  coût technologique et financier trop élevé.  Notons enfin que les minerais très phosphorés peuvent être utilisés comme ajouts cimentiers ce qui permet de trouver un débouché aux minerais de fer phosphoreux du Paléozoïque saharien.

M. Nacereddine Kazi Tani est Docteur d’Etat es Sciences, ancien responsable de l’Exploration de l’Algérie du Nord et de l’Off-shore méditerranéen, ancien professeur des universités (Algérie et France), Directeur-fondateur du Centre national de recherches et d’Applications des Géosciences et Directeur du bureau d’études Géoressources (Pau France)

 

 

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Denis Martinez : Il était une fois Aouchem C’est en pensant à Tahar Djaout et Youcef Sebti, qui étaient ses amis, que je me suis intéressé à l’artiste plasticien Denis Martinez, ancien professeur à l’école des Beaux-arts d’Alger.

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Et puis, en lisant sa notice biographique, j’apprends qu’il est né en 1941 à Mostaganem, lieu de naissance d’un autre grand peintre, à savoir Mohamed Khadda, qui a représenté dans ses gravures et ses aquarelles, les troncs et les racines des oliviers des Ouadhias. Quelle coïncidence. Mais pas que, puisque Mostaganem, tout comme Ghazaouet a vu naitre d’autres grands artistes, de la scène cette fois entre autres Ould Abderrahmane Kaki et Abdelkader Alloula (né à Ghazaouet). Ces villes de l’Ouest sont des villes de culture et d’histoire.

Ce qui caractérise Denis Martinez, c’est, en plus de son œuvre picturale qui est magnifique, le fait qu’il a fait partie, au lendemain de l’indépendance, de ceux qu’on peut considérer comme les agitateurs culturels, comme il se rencontre de nos jours des influenceurs et des agitateurs sur les réseaux sociaux : les facebookeurs, les instragameurs, les tiktokeurs, les twiteurs, dont le rôle est prépondérants sur les phénomènes sociaux de mode , de tendances vestimentaires ou autres, et même la façon de penser des nouvelles générations.

Ce groupe dont a fait partie le jeune artiste plasticien Denis Martinez, avec ses amis Choukri Mesli et Mustapha Adnan, s’appelait le groupe Aouchem. Et ce qu’il y a lieu de signaler, c’est que ce groupe avait rédigé un manifeste. Donc, à la base, il y avait une pensée, des idées, un projet culturel, dans lequel on se donnait des racines et on se fixait des objectifs. C’est très sérieux, parce que ça fait penser aussi bien aux Amis du Manifeste de Ferhat Abbas, qu’au Manifeste des surréalistes d’André Breton. Non pas qu’Aouchem se rattachait sur le plan politique à Ferhat Abbas, ni qu’ils s’affiliaient à la doctrine surréaliste, mais je parle ici de la démarche… Je veux dire, qu’au lendemain de l’indépendance, en plein bouillonnement culturel et d’autres questionnements sur le modèle de société à bâtir, il y eut un groupe de jeunes artistes plasticiens algériens qui prenaient la peine et le temps de se structurer, de penser leur mouvement, de réfléchir au sens à donner à leur travail de création, au sein de la jeune société. Dans le même temps, des écrivains algériens créaient  l’Union des écrivains algériens, avec des auteurs comme Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Assia Djebbar, Moufdi Zakaria, Malek Haddad…

Aouchem veut dire Tatouage. Il fait référence aux motifs géométriques pratiqués à la surface du corps et dans lesquels on introduit des matières colorantes. Denis Martinez, pour sa part, va encore plus loin, puisqu’il élargit l’éventail aussi bien à l’art pariétal du Tassili, au talisman, au totem, aux masques africains, aux caractères du Tifinagh, aux arabesques, à la calligraphie arabe… Ainsi, on apprend que chez Denis Martinez, «Des totems, talismans, figurines et masques ont longtemps balisé des parcours fléchés comme autant de cheminements initiatiques, puisant dans l’héritage de l’Antiquité africaine et de l’artisanat maghrébin les motifs d’un langage esthétique».

Sous la pression des événements tragiques de la décennie quatre-vingt-dix, Denis Martinez s‘était établi à Marseille, au Sud de la France,  mais au début des années 2000, il est revenu en Algérie, pour se ressourcer à l’air vivifiant de sa terre natale, s’inspirant des signes ancestraux pour irriguer de leur sève et de leur énergie ce qui permettait de bâtir un langage esthétique nouveau. D’où l’exposition et le spectacle organisés récemment dans l’enceinte de la villa Abdelatif,  et intitulé «Actes de vie», ainsi que «Tretoir m’kessar».

Poète lui-même, Denis Martinez a aussi illustré les plaquettes de Jean Sénac, Tahar Djaout, Hamid Tibouchi, Djamel Amrani, Youcef  Sebti. Il est donc au carrefour d’une poly créativité féconde, allant de la palette du peintre aux planches des dramaturges, bâtissant une esthétique plurielle dans ce qu’elle a de beau, de généreux, de profondément africain  et maghrébin.

Ahmed B.

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Entretien avec Nadjib Ferhat : L’homme qui chuchote à l’oreille des fossiles Notre histoire a été écrite par les autres… Il était temps que des historiens et chercheurs algériens dépoussièrent les archives pour restituer la vérité sur notre passé, notre identité et notre personnalité. Avec Nadjib Ferhat, nous faisons une virée dans la préhistoire.

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Question : On dit que l’Afrique est considérée comme le berceau de l’humanité.

Réponse : Bien sûr, l’Afrique est incontestablement le berceau de l’humanité. Les plus anciens fossiles d’australopithèques sont connus sur le sol africain. On peut citer Lucy, un australopithèque daté de 3,2 millions d’années, ou bien l’homme de Toumaye, autour de quatre millions d’années. A partir de là, l’expansion humaine s’est faite dans plusieurs directions.

Question : Les recherches ont montré que la présence humaine est attestée depuis des millénaires dans la région du Maghreb. Y a-t-il une continuité de peuplement dans cette région du monde ?

Réponse : Bien sûr. Les travaux menés depuis les années cinquante par les préhistoriens ont été confirmés ces dernières années par la reprise et la continuité des fouilles sur les sites mêmes de An Ahnech et Ain Boucherit. Ce sont en fait un seul et même paléo lac autour duquel ont vécu des hommes il y a deux millions et quatre cent mille ans. C’est la plus ancienne date obtenue sur des ossements d’animaux (hippopotames, éléphants, ancêtres des chevaux, etc…) qu’on a connus au Maghreb. Depuis, le peuplement du Maghreb tout comme celui du Sahara fut un continuum ininterrompu jusqu’à nos jours.

Question : Vous avez employé, au cours d’une intervention, l’expression de capitale numido-romaine en parlant de Cirta, comme d’autres ont utilisé l’expression gallo-romaine… Quel fut l’apport des Numides à la civilisation romaine ?

Réponse : Vous savez, l’histoire est contée toujours avec certaines idées qu’on veut inculquer à l’apprenant. Je m’explique. L’histoire comme elle nous a été apprise dans notre jeunesse par les instituteurs du moment fait état de la civilisation grecque, et de la civilisation romaine, deux faits culturels majeurs qui ont imprégné le peuple autochtone du Maghreb. Ces mêmes livres d’histoire parlent d’arts musulmans, au lieu de culture musulmane, comme si l’arrivée des musulmans n’a pas apporté une véritable culture civiisationnelle avec elle. Les livres d’histoire en France parlent de culture grecque, mais à l’arrivée des Romains, on retrouve la notion de culture gallo-romaine, voulant ainsi dire à leurs apprenants que quand les Romains sont arrivés, ils avaient trouvé une culture gauloise qui était déjà présente. Nous partons du fait que les Romains n’ont pas colonisé le Maghreb en voulant s’y installer mais ont plutôt adopté une politique de romanisation des locaux. Ainsi donc, on peut dire que  ce ne sont pas les Romains qui ont bâti toutes les villes antiques ou laissé des vestiges de cette époque à travers le territoire, mais ce sont plutôt nos ancêtres numides qui les ont bâtis. C’est la raison pour laquelle il est judicieux de parler de culture numido-romaine de ces vestiges et non pas de culture romaine, afin de ne pas omettre l’apport des Numides.

Question : Certains ont une vision stratifiée de l’histoire du Maghreb, opposant les périodes les unes contre les autres… En quoi cette vision est-elle erronée ?

Réponse : L’histoire du peuplement du Maghreb est sans aucun doute un continuum depuis l’homo habilis représenté par l’homme de Ain Ahnech (Ain Boucherit) il y a 2,4 millions d’années à nos jours. Toutes les cultures et les civilisations qui sont venues par la suite se sont ajoutées à une souche préalablement présente. Ces arrivées multiples à travers l’histoire ont parfois été belliqueuses et d’autres fois amicales. En revanche, elles se sont toutes fondues avec les locaux, leurs descendants devenant eux-mêmes des locaux. Toute cette dialectique que l’histoire nous relate a un impact sur la spécificité de l’Algérien, tel qu’on le connait de nos jours. Ce n’est qu’en reconnaissant et en assumant toute son Histoire avec ses hauts et ses bas que l’Algérien pourra être fier de son passé, assurant son présent dans le concert des Nations et pouvant sereinement construire son avenir en toute confiance.

Question : Les amateurs d’archéologie et de préhistoire regrettent l’absence d’une revue de vulgarisation spécialisée. Le financement d’une telle revue est-il si difficile ?

Réponse : Vous savez, pour une revue, ce n’est pas la création qui est difficile. Je vais parler d’un exemple quasi personnel. J’ai collaboré il y a quelques années à une revue qui s’appelait Assekrem, du nom de l’un des plateaux du Hoggar. Cette revue se voulait une revue destinée au milieu estudiantin, mettant à sa disposition des articles traitant de diverses sciences mais dans un langage simplifié. Le problème de cette revue n’était point celui de trouver des auteurs d’articles. Toute personne à qui on s’adressait était contente de proposer un papier sans demander une contrepartie. Mais le problème était celui de son financement. Après une longue période de déficit, on a mis la clef sous la porte. En outre, il a existé une revue de haut standing scientifique et culturelle qui s’appelait Libyca, qui par un laisser-aller incompréhensible de la part du ministère de la culture, a fini par disparaitre. Actuellement, il y a une seule revue qui traite du patrimoine archéologique à l’échelle nationale, c’est une revue du mouvement associatif qui s’appelle Ikosim. Pour qu’une revue puisse exister et vivre, il y a lieu de mettre en place une véritable politique et une volonté de faire connaitre son patrimoine à la société, et bien entendu, cela doit être accompagné d’un soutien financier conséquent.

Question : Les gravures rupestres sont un atout touristique indéniable. Dans le même temps, on signale des dégradations. Quelles sont les mesures à prendre pour concilier le tourisme et la protection des sites ?

Réponse : Bien sûr, les gravures sont un atout touristique incontestable. Mais la mise en tourisme de tout le patrimoine fait partie d’une volonté politique. Cependant, la protection du patrimoine n’est pas seulement l’affaire de l’Etat et de ses structures, mais l’affaire de tous. Pour que le patrimoine culturel, archéologique notamment, soit admis et reconnu par tout un chacun, il est de première nécessité d’une part que les gens soient imprégnés de son importance, depuis la cellule familiale en passant par l’école jusqu’à la vie active. Et d’autre part, il faut que ce patrimoine ne soit plus considéré par les gestionnaires comme un handicap au développement socio-économique de leur région. Mais plutôt comme une valeur ajoutée à leur programme. Néanmoins, pour que ce patrimoine soit préservé, il faut que les populations qui vivent à proximité puissent y voir une source d’apport financier et qu’ils en vivent. Ce n’est que par le truchement et un mélange de tous ces ingrédients que le patrimoine archéologique sera reconnu et sauvegardé. Et c’est ainsi qu’il intégrera le développement socio-économique des territoires et des populations.

Ahmed B.

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Entretien avec Nadjib Ferhat : L’homme qui chuchote à l’oreille des fossiles Notre histoire a été écrite par les autres… Il était temps que des historiens et chercheurs algériens dépoussièrent les archives pour restituer la vérité sur notre passé, notre identité et notre personnalité. Avec Nadjib Mahfoud, nous faisons une virée dans la préhistoire.

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  Crésus : Avec vous, on entre de plain-pied dans les temps reculés de la préhistoire, à savoir le quaternaire. Que représente pour vous cette période géologique ?

Nadjib Ferhat : C’est une période qui représente pour moi, l’émergence de l’humanité. En effet, chacune des périodes géologiques connues, comme le primaire, le secondaire, le tertiaire et le quaternaire se distingue par l’apparition ou la disparition d’un fossile. Le quaternaire se distingue du tertiaire par l’apparition du fossile homme. C’est ce qui nous amène tout de suite à considérer le quaternaire comme étant la période où apparait l’homme, et l’étude du quaternaire implique directement l’étude de cet homme en tant que fossile géologique mais aussi comme producteur de culture. D’où la définition de la préhistoire : c’est l’étude de cet homme et de ses productions culturelles, depuis son apparition jusqu’à l’invention des écritures. Là où commence l’histoire.

Vous avez entre autres, travaillé sur les industries préhistoriques de la paléo vallée de Timimoune dans leur contexte stratigraphique. Peut-on résumer les résultats de ces recherches ?

C’est une recherche que j’ai menée fin des années 70, début des années 80, où j’ai eu le bonheur et la chance d’étudier la mise en place de la sebkha de Timimoune et la mise en place du grand Erg occidental en suivant l’évolution des installations humaines préhistoriques dans la région. Cela a permis de situer la disposition actuelle de la vallée de Timimoune en tant que sebkha depuis l’obstruction des eaux qui lui parvenaient de l’Atlas saharien par l’installation de l’actuelle Erg occidental. Cette disposition date de la civilisation atérienne, à savoir depuis quarante mille ans.

Vous avez également dirigé des fouilles archéologiques dans des sites des régions de Boussaâda et du Tassili Ajjer. Existe-t-il des ressemblances entre les deux sites ?

Le travail exécuté à Boussaâda en 76-77 a permis la confirmation de travaux antérieurs mettant en évidence une phase climatique aride située autour de treize mille ans, qui a eu pour conséquence l’obstruction et le remblaiement par des amas sableux de toute l’écluse (ouverture) du piémont sud de l’Atlas saharien. Ces travaux ont permis de démontrer une diminution des nappes d’eau et un déplacement des limites bioclimatiques dans cette région. Une culture préhistorique a été mise en évidence au sommet de ces remblaiements, celle d’une population ibéro-maurassienne qui occupait les lieux à ce moment-là (13 000 ans).  Par contre le travail sur le Tassili était beaucoup plus complexe, s’étalant sur de nombreuses années. Tout d’abord, il y eut une participation aux travaux de fouille du site de Tin Hanakaten, au sud du Tassili. Puis il y eut un second axe : pour une mise au point chrono-stratigraphique de l’art rupestre saharien par la conjonction d’une étude paléogéographique et géomorphologique en relation avec un art gravé dans l’oued Tidunadj (Tassili toujours). Cette étude menée en collaboration avec deux autres collègues a permis de démontrer que l’art rupestre saharien est paléolithique et non plus uniquement néolithique, comme beaucoup le croyaient jusqu’à une date récente. Maintenant, il est confirmé que l’art rupestre du centre du Sahara date au moins de l’aride pré-ocène, une période qui s’étale entre vingt et onze mille ans. En troisième lieu, j’ai eu la chance de diriger une fouille préhistorique sur une nécropole animale que nous avons datée du sixième millénaire. Cette nécropole s’étale sur 80 ha dans l’oued Maukhan (Tassili). Les travaux nous ont permis de mettre en évidence un rituel autour du bœuf que pratiquaient les hommes préhistoriques. Ces pratiques cultuelles se résumaient en la mise en terre dans des fosses de 80 cm à 1 m de diamètre sur 1,20 m de profondeur, différentes parties du jeune bœuf sacrifié en mettant la partie postérieure à la base, le reste de l’animal par-dessus avec quelque fois le crâne fiché au milieu de l’inhumation. (Le museau vers le bas). Tout comme nous avons mis en évidence que ces animaux étaient mis dans des sacs avant leur enterrement. Des traces de raclage de la chair sur des os nous permettent de croire que toute la chair était enlevée et que certains os étaient même calcinés, accompagnés de poterie et d’autres vestiges dans l’inhumation.

Dans les temps les plus reculés, le Sahara peut-il être considéré comme une mer intérieure ou plutôt comme un grand lac ? Quelles furent les conséquences de son assèchement sur l’évolution de l’homme ?

Depuis l’apparition de l’homme, le Sahara est dans l’état actuel, avec cependant des nuances, de déplacement des limites bioclimatiques, qui ont permis au Sahara, par moment de gagner en humidité, devenir un peu plus clément pour l’habitat (hommes, animaux, végétation), donnant des paysages certes un peu plus vert mais limités dans l’espace. Par d’autres moments, d’intenses périodes arides et sèches ont affecté le milieu saharien. C’est cette aridité qui a été le facteur le plus imposant et le plus déterminant dans l’évolution climatique du Sahara. L’actuelle aridité est présente depuis au moins les deux derniers millénaires.

(Suite de l’entretien dans l’édition de demain)

Ahmed. B

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