Entretien

Ali Boumediene, DG de Bomare Company à propos de l’exportation des produits nationaux: «Il y a un problème de réglementation »

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Bomare Company, société algérienne spécialisée dans l’industrie électronique vient de recevoir  le Trophée Export 2019. Ce trophée récompense la meilleure entreprise ayant réussi à exporter ses produits,  hors hydrocarbures, en Algérie. Son Directeur général, Ali Boumediene, revient dans cet entretien sur les conditions préalables nécessaires à toute entreprise algérienne pour réaliser ses objectifs à l’export, appelant  « débureaucratiser » l’acte et à une meilleure réglementation en la matière.

Propos recueillis par S. Chaoui

Crésus : Vous venez d’obtenir le prix de meilleur exportateur hors hydrocarbures. Une recette pour expliquer cette réussite?

C’est toute une stratégie pour nous dès la création de Bomare. D’ailleurs nous avons reçu le trophée le jour de l’anniversaire des 20 ans de Bomare, c’est-à-dire le 4 février 2021. Depuis, la création a visé la production et l’export, ce n’est pas quelque chose de facile. Nous avons travaillé durement et réalisé la première opération d’export après avoir étudié le marché. Presque tout le monde en Algérie commence  par viser le marché africain. Nous, nous avons visé l’Europe. C’était en 2007.

Il fallait d’abord travailler sur les normes, c’est-à dire vérifier que le produit respecte les normes européennes en vigueur. C’était tout un travail en amont. Nous avons anticipé depuis 2007, car nous avons commencé nos recherches à cette époque-là. Nous avons en outre participé à des salons internationaux et grâce à cette participation prolifique à bien des égards, nous avons obtenu des informations selon lesquelles l’Union européenne «était en train de préparer une directive applicable dès le 1er juillet 2007 pour les produits entrant sur le marché européen.

Nous avons donc ramené les équipements en 2007 qui respectent ces normes et en même temps, nous avons formé nos ingénieurs pour qu’ils soient à jour par rapport à ces normes. Nous pouvons affirmer que nous avons réussi notre opération avec succès malgré des problèmes au niveau des douanes espagnoles à l’époque et avec le ministère de l’Industrie.

Car un produit hors union européenne qui entre sur le marché communautaire, des recherches, des audits, des analyses du produit sont requis. Et après une longue et précise étude, il a été confirmé que notre produit respectait effectivement les normes appliquées en UE. Tout ceci est donc le résultat d’un travail de 20 ans, grâce à l’engagement de toute une équipe, une veille technologique. Et nous avons d’autres objectifs pour l’avenir si Dieu le veut.

Crésus : Quel est le type de produit le plus demandé en Europe ?

Si on parle de téléviseurs par exemple, ce sont des produits de large consommation. Nous pensons que le marché algérien est un marché important pour ce produit, mais on se trompe. Pour vous donner un aperçu, il est plus pratique de donner des chiffres. Ainsi, le marché mondial concernant la consommation de téléviseurs annuellement est aux alentours de 220 millions d’appareils, avec des fluctuations plus ou moins sur 5 ans.

Le marché algérien ne consomme que 0.3% de ce marché, c’est-à-dire l’équivalent de 600-700 000 téléviseurs. Le marché européen consomme 25 millions d’appareils ! L’objectif premier de Bomare dès sa création a été comme nous vous le disions au début, est d’exporter. Cela n’a pas été facile vu les soucis adminis-tratifs auxquels nous avons fait face et que même le gouvernement admet aujourd’hui.

Crésus : Que pensez-vous du nouveau cahier des charges et les taux d’intégration demandés ?

Le travail que réalise actuellement le ministre de l’Industrie est extraordinaire. C’est un travail que nous (opérateurs économiques) demandions depuis longtemps. J’ai même en ma possession un courrier officiel que j’ai adressé au ministère de l’Industrie en 2017 dans lequel je demandais au ministre de l’Industrie de l’époque de libérer les opérateurs et les laisser acheter la matière  première directement chez les fabricants.

Car aujourd’hui on achète en deuxième main, on ne peut pas acheter certains composants à la source,  car la loi nous y oblige. Cela a pénalisé les opérateurs, car nous nous retrouvons obligés d’acheter  le kit complet chez un opérateur, ce qui fait qu’on doit acheter plus cher et c’est pour cela que les téléviseurs coûtent plus chers. La réglementation algérienne pousse le producteur à vendre plus cher. Si l’on achetait les composants chez le fabricant directement, on gagnerait 10-15% de marge.

C’est l’avantage du cahier des charges. Seulement, il y a un détail. C’est bien beau d’avoir un cahier des charges, de pousser les opérateurs à augmenter le taux d’intégration mais seulement à condition de travailler sur l’export. Cela permettra de développer l’activité et non le marché algérien. Le plus important est d’accompagner les opérateurs à faire de l’export, augmenter les chiffres. Nous avons actuellement un projet que j’ai exposé jeudi dernier au gouvernement. Il s’agit de faire un chiffre d’affaires annuel de 3, 7 milliards de dollars à l’horizon 2024 pour l’export.

Ce projet va accompagner la création de 1 000 entreprises. C’est-à-dire que le produit va être fabriqué en Algérie et que l’écosystème économique créé autour de cela réussira à réduire la facture d’importation  de 50% d’ici 3 ans. Aujourd’hui, l’Algérie dépense entre 500 millions et 1 mil-liard de dollars dans le produit entre l’achat des composants et de la matière première. Si on commence à réaliser les projets que j’ai cités et à accompagner les entreprises qui fabriquent la matière première localement, nous n’aurons pas besoin de dépenser autant et le taux d’intégration donc va augmenter naturellement.

Crésus : Quels conseils donneriez-vous aux startups pour réussir le pari de l’export ?

Pour aller vers l’innovation des produits, il faut viser l’exportation. Pour cela, il faut que les jeunes soient motivés et ambitieux , mais il faut aussi qu’il y ait une vraie volonté politique avec des stratégies bien définies. Il faut prendre exemple sur la Chine qui a réussi en 40 ans à être le leader mondial dans le domaine de l’export. Aujourd’hui, notre avenir est le marché africain et l’Amérique du Sud. Notre position géographique est vraiment stratégique. Si on profite pleinement de cette situation, on aura des opportunités et des avantages monstres. Il faut miser encore une fois sur l’accompagnement des opérateurs en leur octroyant plus de liberté. Un opérateur qui fabrique un produit et ambitionne de l’exporter doit participer à des salons à l’étranger, hélas il ne peut pas présentement. Pourquoi ? Parce que la Banque d’Algérie demande de payer le service a postériori, tandis qu’à l’étranger l’opérateur le paie à l’avance. Et donc fatalement le projet ne peut pas être réalisé. Il y a un problème dans la réglementation et nous devons changer cette mentalité  en donnant plus de liberté aux opérateurs, mais bien évidemment en les soumettant aux contrôles nécessaires.

S. C.

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