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Entretien

«L’Algérie s’achemine tout droit vers le FMI» (Farid Yaïci)

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Farid Yaïci, Professeur et Directeur du laboratoire Économie & Développement, université de Béjaïa

Propos recueillis par M. Aziri

Si vous deviez faire le bilan d’un an de gouvernance économique du gouvernement Djerad, que diriez-vous au juste ? Autrement dit, dans quelle situation économique, financière et sociale se trouve le pays actuellement ? Un plan de relance économique 2020-2024 avait été annoncé au tout début du mandat présidentiel. Pandémie de la Covid 19 oblige, le chantier de la relance est reporté sine die. Que doit être la réponse des politiques pour sortir l’Algérie de la récession de son économie ?

Le gouvernement Djerad a été installé le 28 décembre 2019, en plein « Hirak » où le peuple algérien sortait encore massivement dans la rue chaque vendredi et chaque mardi pour demander un changement radical du système politique en place. Ce mouvement populaire revendicatif n’avait été suspendu, provisoirement, que le 17 mars 2019 en raison de la pandémie de la Covid-19.

C’est dire, déjà, que les conditions politiques, préalables à tout programme économique sérieux et qui susciterait l’adhésion du peuple, n’étaient pas réunies. Le plan d’action du gouvernement, publié le 6 février 2020, était politique, économique, social, diplomatique et sécuritaire. Dans le volet politique, le plan d’action promet de « veiller à concrétiser une nouvelle République, née des aspirations du peuple, dès l’aboutissement de la révision constitutionnelle, en mettant en place un nouveau mode de gouvernance empreint de rigueur et de transparence et un exercice plein des droits et libertés ». On en est encore loin lorsqu’on sait, d’une part, dans quelles conditions a été préparée la nouvelle Constitution (…)

Dans le volet économique, le plan d’action promet une réforme financière et un renouveau économique. Sans qu’il ne soit chiffré, le programme économique est ambitieux. Sur le premier point, il vise ainsi une refonte du système fiscal, une instauration de nouvelles règles de gouvernance budgétaire, une modernisation du système bancaire et financier et un développement de l’information statistique et de la fonction prospective.

Sur le second point, il vise à promouvoir le cadre de développement de l’entreprise, améliorer substantiellement le climat des affaires, rationaliser le déploiement territorial, le développement industriel et l’exploitation du foncier économique, développer les filières industrielles et les mines, valoriser la production nationale, rationaliser les importations et promouvoir les exportations, assainir la sphère commerciale, réaliser la transition énergétique, développer l’agriculture et la pêche modernes pour une meilleure sécurité alimentaire, relancer l’industrie du tourisme et de la cinématographie, développer les infrastructures d’appui aux technologies de l’information et de la communication, faire émerger une économie de la connaissance et assurer une transition numérique accélérée et, enfin, revenir à une approche économique pour lutter contre le chômage et promouvoir l’emploi.

Force est de constater, que plus d’une année après l’annonce du plan d’action du gouvernement, nous ne percevons pas encore les prémices de son application. Il est vrai que la crise sanitaire est passée par là, venue aggraver la crise pétrolière qui a débuté en 2014, mais ces deux crises ne sont que les symptômes d’une crise plus profonde, plus structurelle et plus ancienne touchant à la gouvernance du pays, et donc de ses ressources humaines et naturelles.

Dès lors, pour se sortir de la crise, et susciter l’adhésion du peuple à un programme de relance économique, qui n’évitera pas de causer des difficultés à la majorité de la population, il faut d’abord réunir les conditions politiques de son application.

Les indicateurs de l’économie communiqués par le gouvernement (chômage, inflation, croissance, consommation, etc.) ne sont pas alarmistes. Certaines institutions financières, dont le FMI et la Banque mondiale font, pour leur part, des prévisions positives (par rapport à la croissance notamment). Jusqu’où ce tableau de bord où les indicateurs sont résolument au vert peut être vrai ?

L’année 2020 s’est terminée avec des indicateurs économiques et sociaux peu reluisants. Selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI) datant d’octobre 2020, le taux de croissance du Produit intérieur brut (PIB) réel a chuté à – 5,5% (0,8% en 2019), l’inflation moyenne annuelle (IPC) a augmenté à 3,5% (2,0% en 2019), le solde du compte courant de la balance des paiements s’est creusé à – 10,8% du PIB (-10,1% en 2019) et, enfin, le taux de chômage a fait un bond à 14,1% de la population active (11,4% en 2019). Les estimations communiquées à la même date par la Banque mondiale sont légèrement plus préoccupantes et celles fournies par les autorités algériennes légèrement moins préoccupantes.

Les prévisions pour 2021 ne sont pas plus optimistes et ce, malgré les espoirs de reprise économique mondiale dus aux annonces de déconfinement et au début de vaccination des populations. Selon les prévisions du FMI, excepté le taux de croissance du PIB qui remontera à 3,2% (en partant de -5,5% en 2020) alors que la Banque mondiale estime le taux de croissance nécessaire à l’économie algérienne à 7% pendant plusieurs années pour qu’elle puisse effectuer son rattrapage, l’IPC augmentera à 3,8%, le solde du compte courant de la balance des paiements se creusera à -16,6 % du PIB et le taux de chômage s’accroîtra à 14,3% de la population active. Ainsi, l’économie algérienne aura perdu sept ans à compter uniquement de la crise pétrolière de 2014 sans qu’elle n’ait pour autant entamé ses réformes structurelles. Avec cette situation de crise profonde qui perdure et l’épuisement des réserves de change qui s’annonce, l’Algérie s’achemine tout droit à demander l’assistance du FMI.

Comment appréciez-vous la récente décision de la Banque d’Algérie de réduire d’un point, de 3 à 2%, les réserves obligatoires ? Quels seraient les avantages escomptés et/ou les risques comportés par pareille mesure ?

Le taux de réserves obligatoires est un instrument de politique monétaire. Pour la Banque d’Algérie, il fait partie de la panoplie d’outils qu’elle manipule, dans un sens ou dans un autre, pour maîtriser la masse monétaire et, donc, l’inflation en vue d’aider à la relance de la croissance économique.

Mais, la  politique monétaire en Algérie est rythmée par l’évolution des prix du pétrole brut et, par conséquent, des revenus qui en sont tirés. Dans les périodes de hausse des prix pétroliers, à l’exemple de la période 2002-2014, l’afflux de revenus en devises a gonflé la masse monétaire et fait craindre une explosion de l’inflation, ce qui a conduit la Banque d’Algérie à mener une politique monétaire restrictive par le biais de reprises de liquidités, l’augmentation des réserves obligatoires, la rémunération de la facilité de dépôt et le gel du taux de réescompte. A contrario, dans les périodes de baisse des prix pétroliers, à l’exemple de la période allant de 2014 à ce jour, la pénurie de revenus en devises a réduit la masse monétaire et, par conséquent, les crédits à l’économie, ce qui a conduit à une récession.

Dans ce contexte, la Banque d’Algérie a réactivé certains instruments de politique monétaire, tels que le taux de réescompte, les opérations d’open market, la facilité de prêt marginal et la diminution des réserves obligatoires, et a ajouté même un instrument non conventionnel à la panoplie en 2017, la planche à billets, en l’occurrence. Réduire encore d’un point, de 3 à 2% le taux des réserves obligatoires afin de libérer des liquidités supplémentaires au profit des banques qui en souffrent d’un manque, sachant que ce taux était à 12% il y a seulement quelques mois et qu’il avait été déjà réduit plusieurs fois, montre que la Banque d’Algérie est en train d’épuiser ses marges de manœuvre.

Pour équilibrer les comptes publics, creusés par les déficits, le gouvernement a annoncé, entre autres, une coupe sévère dans la facture d’importation qui devait baisser de 10 milliards de dollars et la dévaluation progressive de la monnaie nationale de plus de 25 % à l’horizon 2023. Certains experts plaident la cause d’un taux de dévaluation plus soutenu. Comment jugez-vous l’approche ? Faut-il compter sur une reprise des cours du pétrole ? Dévaluer le dinar (dans quelle propension ?) ? Relancer l’économie (avec quels moyens) ou frapper aux portes des bailleurs de fonds internationaux?

Avec la baisse drastique des prix du pétrole brut depuis juin 2014, amplifiée par la pandémie de la Covid-19 depuis mars 2020, l’économie algérienne s’est révélée vulnérable, dépendante de ses hydrocarbures et mal gouvernée.

En effet, c’est depuis la nationalisation des hydrocarbures en 1971 que l’Algérie n’a cessé de fonder sa politique de développement sur cette ressource naturelle, d’abord, dans les années 1970 et 1980, dans le cadre de la planification et de la stratégie des « industries industrialisantes » et, ensuite, dans les années 2000 et 2010, dans le cadre de l’ouverture commerciale et la réalisation par l’Etat de grands projets d’infrastructures de base et de programmes sociaux.

Ce modèle a conduit à de nombreux et graves dysfonctionnements, à savoir : marginalisation des activités productives hors hydrocarbures, mauvaise allocation des ressources, dépendance accrue de l’extérieur, inefficience du système fiscal, développement de l’informel et généralisation de la corruption, entre autres. En outre, le violent choc qu’a subi l’économie algérienne fait que les ajustements à opérer sont considérables et que les réformes structurelles à mener doivent concerner quasiment tous les domaines. Néanmoins, les montants et les taux des ajustements ne sont pas figés et peuvent varier en fonction de l’évolution des prix des hydrocarbures et, donc, des revenus issus de leurs exportations.

A titre d’exemple, la surévaluation du dinar algérien est estimée entre 30 et 40% par les institutions financières internationales, qui se donnent ainsi une marge d’erreur de 10%. De plus, de mon point de vue, les ajustements doivent être lissés dans le temps pour éviter à la population de subir de plein fouet leurs contrecoups. Il faut signaler encore que les mesures d’urgence prises par le gouvernement telles que les augmentations d’impôts et taxes, la coupe drastique dans les importations et la dépréciation de la monnaie, entre autres, ne sont pas de nature à relancer l’économie.

Elles sont destinées tout au plus à tenter de la stabiliser et à freiner l’épuisement des réserves de change. Elles doivent être accompagnées de réformes structurelles à mener dans un écosystème favorable à construire.

D’abord, il y a lieu de concevoir un programme cohérent de réformes globales, qui doit concerner, entre autres, le système monétaire, le secteur bancaire, le marché financier, le dispositif budgétaire, l’arsenal fiscal, l’entreprise publique, l’entreprise privée, le climat d’investissement et d’affaires, les transferts sociaux et la sphère informelle et un programme de réformes sectorielles relatif à l’industrie, l’agriculture, le tourisme, l’artisanat, le numérique et autres, et les exécuter de façon graduelle et pragmatique.

Ensuite, dans le cadre d’une économie de marché, l’allocation des ressources est censée se faire de manière rationnelle, sans distinction entre les secteurs public et privé. Enfin, dans ce contexte, l’Etat doit jouer un double rôle, de stratège et de régulateur.

 

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Denis Martinez : Il était une fois Aouchem C’est en pensant à Tahar Djaout et Youcef Sebti, qui étaient ses amis, que je me suis intéressé à l’artiste plasticien Denis Martinez, ancien professeur à l’école des Beaux-arts d’Alger.

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Et puis, en lisant sa notice biographique, j’apprends qu’il est né en 1941 à Mostaganem, lieu de naissance d’un autre grand peintre, à savoir Mohamed Khadda, qui a représenté dans ses gravures et ses aquarelles, les troncs et les racines des oliviers des Ouadhias. Quelle coïncidence. Mais pas que, puisque Mostaganem, tout comme Ghazaouet a vu naitre d’autres grands artistes, de la scène cette fois entre autres Ould Abderrahmane Kaki et Abdelkader Alloula (né à Ghazaouet). Ces villes de l’Ouest sont des villes de culture et d’histoire.

Ce qui caractérise Denis Martinez, c’est, en plus de son œuvre picturale qui est magnifique, le fait qu’il a fait partie, au lendemain de l’indépendance, de ceux qu’on peut considérer comme les agitateurs culturels, comme il se rencontre de nos jours des influenceurs et des agitateurs sur les réseaux sociaux : les facebookeurs, les instragameurs, les tiktokeurs, les twiteurs, dont le rôle est prépondérants sur les phénomènes sociaux de mode , de tendances vestimentaires ou autres, et même la façon de penser des nouvelles générations.

Ce groupe dont a fait partie le jeune artiste plasticien Denis Martinez, avec ses amis Choukri Mesli et Mustapha Adnan, s’appelait le groupe Aouchem. Et ce qu’il y a lieu de signaler, c’est que ce groupe avait rédigé un manifeste. Donc, à la base, il y avait une pensée, des idées, un projet culturel, dans lequel on se donnait des racines et on se fixait des objectifs. C’est très sérieux, parce que ça fait penser aussi bien aux Amis du Manifeste de Ferhat Abbas, qu’au Manifeste des surréalistes d’André Breton. Non pas qu’Aouchem se rattachait sur le plan politique à Ferhat Abbas, ni qu’ils s’affiliaient à la doctrine surréaliste, mais je parle ici de la démarche… Je veux dire, qu’au lendemain de l’indépendance, en plein bouillonnement culturel et d’autres questionnements sur le modèle de société à bâtir, il y eut un groupe de jeunes artistes plasticiens algériens qui prenaient la peine et le temps de se structurer, de penser leur mouvement, de réfléchir au sens à donner à leur travail de création, au sein de la jeune société. Dans le même temps, des écrivains algériens créaient  l’Union des écrivains algériens, avec des auteurs comme Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Assia Djebbar, Moufdi Zakaria, Malek Haddad…

Aouchem veut dire Tatouage. Il fait référence aux motifs géométriques pratiqués à la surface du corps et dans lesquels on introduit des matières colorantes. Denis Martinez, pour sa part, va encore plus loin, puisqu’il élargit l’éventail aussi bien à l’art pariétal du Tassili, au talisman, au totem, aux masques africains, aux caractères du Tifinagh, aux arabesques, à la calligraphie arabe… Ainsi, on apprend que chez Denis Martinez, «Des totems, talismans, figurines et masques ont longtemps balisé des parcours fléchés comme autant de cheminements initiatiques, puisant dans l’héritage de l’Antiquité africaine et de l’artisanat maghrébin les motifs d’un langage esthétique».

Sous la pression des événements tragiques de la décennie quatre-vingt-dix, Denis Martinez s‘était établi à Marseille, au Sud de la France,  mais au début des années 2000, il est revenu en Algérie, pour se ressourcer à l’air vivifiant de sa terre natale, s’inspirant des signes ancestraux pour irriguer de leur sève et de leur énergie ce qui permettait de bâtir un langage esthétique nouveau. D’où l’exposition et le spectacle organisés récemment dans l’enceinte de la villa Abdelatif,  et intitulé «Actes de vie», ainsi que «Tretoir m’kessar».

Poète lui-même, Denis Martinez a aussi illustré les plaquettes de Jean Sénac, Tahar Djaout, Hamid Tibouchi, Djamel Amrani, Youcef  Sebti. Il est donc au carrefour d’une poly créativité féconde, allant de la palette du peintre aux planches des dramaturges, bâtissant une esthétique plurielle dans ce qu’elle a de beau, de généreux, de profondément africain  et maghrébin.

Ahmed B.

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Entretien avec Nadjib Ferhat : L’homme qui chuchote à l’oreille des fossiles Notre histoire a été écrite par les autres… Il était temps que des historiens et chercheurs algériens dépoussièrent les archives pour restituer la vérité sur notre passé, notre identité et notre personnalité. Avec Nadjib Ferhat, nous faisons une virée dans la préhistoire.

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Question : On dit que l’Afrique est considérée comme le berceau de l’humanité.

Réponse : Bien sûr, l’Afrique est incontestablement le berceau de l’humanité. Les plus anciens fossiles d’australopithèques sont connus sur le sol africain. On peut citer Lucy, un australopithèque daté de 3,2 millions d’années, ou bien l’homme de Toumaye, autour de quatre millions d’années. A partir de là, l’expansion humaine s’est faite dans plusieurs directions.

Question : Les recherches ont montré que la présence humaine est attestée depuis des millénaires dans la région du Maghreb. Y a-t-il une continuité de peuplement dans cette région du monde ?

Réponse : Bien sûr. Les travaux menés depuis les années cinquante par les préhistoriens ont été confirmés ces dernières années par la reprise et la continuité des fouilles sur les sites mêmes de An Ahnech et Ain Boucherit. Ce sont en fait un seul et même paléo lac autour duquel ont vécu des hommes il y a deux millions et quatre cent mille ans. C’est la plus ancienne date obtenue sur des ossements d’animaux (hippopotames, éléphants, ancêtres des chevaux, etc…) qu’on a connus au Maghreb. Depuis, le peuplement du Maghreb tout comme celui du Sahara fut un continuum ininterrompu jusqu’à nos jours.

Question : Vous avez employé, au cours d’une intervention, l’expression de capitale numido-romaine en parlant de Cirta, comme d’autres ont utilisé l’expression gallo-romaine… Quel fut l’apport des Numides à la civilisation romaine ?

Réponse : Vous savez, l’histoire est contée toujours avec certaines idées qu’on veut inculquer à l’apprenant. Je m’explique. L’histoire comme elle nous a été apprise dans notre jeunesse par les instituteurs du moment fait état de la civilisation grecque, et de la civilisation romaine, deux faits culturels majeurs qui ont imprégné le peuple autochtone du Maghreb. Ces mêmes livres d’histoire parlent d’arts musulmans, au lieu de culture musulmane, comme si l’arrivée des musulmans n’a pas apporté une véritable culture civiisationnelle avec elle. Les livres d’histoire en France parlent de culture grecque, mais à l’arrivée des Romains, on retrouve la notion de culture gallo-romaine, voulant ainsi dire à leurs apprenants que quand les Romains sont arrivés, ils avaient trouvé une culture gauloise qui était déjà présente. Nous partons du fait que les Romains n’ont pas colonisé le Maghreb en voulant s’y installer mais ont plutôt adopté une politique de romanisation des locaux. Ainsi donc, on peut dire que  ce ne sont pas les Romains qui ont bâti toutes les villes antiques ou laissé des vestiges de cette époque à travers le territoire, mais ce sont plutôt nos ancêtres numides qui les ont bâtis. C’est la raison pour laquelle il est judicieux de parler de culture numido-romaine de ces vestiges et non pas de culture romaine, afin de ne pas omettre l’apport des Numides.

Question : Certains ont une vision stratifiée de l’histoire du Maghreb, opposant les périodes les unes contre les autres… En quoi cette vision est-elle erronée ?

Réponse : L’histoire du peuplement du Maghreb est sans aucun doute un continuum depuis l’homo habilis représenté par l’homme de Ain Ahnech (Ain Boucherit) il y a 2,4 millions d’années à nos jours. Toutes les cultures et les civilisations qui sont venues par la suite se sont ajoutées à une souche préalablement présente. Ces arrivées multiples à travers l’histoire ont parfois été belliqueuses et d’autres fois amicales. En revanche, elles se sont toutes fondues avec les locaux, leurs descendants devenant eux-mêmes des locaux. Toute cette dialectique que l’histoire nous relate a un impact sur la spécificité de l’Algérien, tel qu’on le connait de nos jours. Ce n’est qu’en reconnaissant et en assumant toute son Histoire avec ses hauts et ses bas que l’Algérien pourra être fier de son passé, assurant son présent dans le concert des Nations et pouvant sereinement construire son avenir en toute confiance.

Question : Les amateurs d’archéologie et de préhistoire regrettent l’absence d’une revue de vulgarisation spécialisée. Le financement d’une telle revue est-il si difficile ?

Réponse : Vous savez, pour une revue, ce n’est pas la création qui est difficile. Je vais parler d’un exemple quasi personnel. J’ai collaboré il y a quelques années à une revue qui s’appelait Assekrem, du nom de l’un des plateaux du Hoggar. Cette revue se voulait une revue destinée au milieu estudiantin, mettant à sa disposition des articles traitant de diverses sciences mais dans un langage simplifié. Le problème de cette revue n’était point celui de trouver des auteurs d’articles. Toute personne à qui on s’adressait était contente de proposer un papier sans demander une contrepartie. Mais le problème était celui de son financement. Après une longue période de déficit, on a mis la clef sous la porte. En outre, il a existé une revue de haut standing scientifique et culturelle qui s’appelait Libyca, qui par un laisser-aller incompréhensible de la part du ministère de la culture, a fini par disparaitre. Actuellement, il y a une seule revue qui traite du patrimoine archéologique à l’échelle nationale, c’est une revue du mouvement associatif qui s’appelle Ikosim. Pour qu’une revue puisse exister et vivre, il y a lieu de mettre en place une véritable politique et une volonté de faire connaitre son patrimoine à la société, et bien entendu, cela doit être accompagné d’un soutien financier conséquent.

Question : Les gravures rupestres sont un atout touristique indéniable. Dans le même temps, on signale des dégradations. Quelles sont les mesures à prendre pour concilier le tourisme et la protection des sites ?

Réponse : Bien sûr, les gravures sont un atout touristique incontestable. Mais la mise en tourisme de tout le patrimoine fait partie d’une volonté politique. Cependant, la protection du patrimoine n’est pas seulement l’affaire de l’Etat et de ses structures, mais l’affaire de tous. Pour que le patrimoine culturel, archéologique notamment, soit admis et reconnu par tout un chacun, il est de première nécessité d’une part que les gens soient imprégnés de son importance, depuis la cellule familiale en passant par l’école jusqu’à la vie active. Et d’autre part, il faut que ce patrimoine ne soit plus considéré par les gestionnaires comme un handicap au développement socio-économique de leur région. Mais plutôt comme une valeur ajoutée à leur programme. Néanmoins, pour que ce patrimoine soit préservé, il faut que les populations qui vivent à proximité puissent y voir une source d’apport financier et qu’ils en vivent. Ce n’est que par le truchement et un mélange de tous ces ingrédients que le patrimoine archéologique sera reconnu et sauvegardé. Et c’est ainsi qu’il intégrera le développement socio-économique des territoires et des populations.

Ahmed B.

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Entretien avec Nadjib Ferhat : L’homme qui chuchote à l’oreille des fossiles Notre histoire a été écrite par les autres… Il était temps que des historiens et chercheurs algériens dépoussièrent les archives pour restituer la vérité sur notre passé, notre identité et notre personnalité. Avec Nadjib Mahfoud, nous faisons une virée dans la préhistoire.

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  Crésus : Avec vous, on entre de plain-pied dans les temps reculés de la préhistoire, à savoir le quaternaire. Que représente pour vous cette période géologique ?

Nadjib Ferhat : C’est une période qui représente pour moi, l’émergence de l’humanité. En effet, chacune des périodes géologiques connues, comme le primaire, le secondaire, le tertiaire et le quaternaire se distingue par l’apparition ou la disparition d’un fossile. Le quaternaire se distingue du tertiaire par l’apparition du fossile homme. C’est ce qui nous amène tout de suite à considérer le quaternaire comme étant la période où apparait l’homme, et l’étude du quaternaire implique directement l’étude de cet homme en tant que fossile géologique mais aussi comme producteur de culture. D’où la définition de la préhistoire : c’est l’étude de cet homme et de ses productions culturelles, depuis son apparition jusqu’à l’invention des écritures. Là où commence l’histoire.

Vous avez entre autres, travaillé sur les industries préhistoriques de la paléo vallée de Timimoune dans leur contexte stratigraphique. Peut-on résumer les résultats de ces recherches ?

C’est une recherche que j’ai menée fin des années 70, début des années 80, où j’ai eu le bonheur et la chance d’étudier la mise en place de la sebkha de Timimoune et la mise en place du grand Erg occidental en suivant l’évolution des installations humaines préhistoriques dans la région. Cela a permis de situer la disposition actuelle de la vallée de Timimoune en tant que sebkha depuis l’obstruction des eaux qui lui parvenaient de l’Atlas saharien par l’installation de l’actuelle Erg occidental. Cette disposition date de la civilisation atérienne, à savoir depuis quarante mille ans.

Vous avez également dirigé des fouilles archéologiques dans des sites des régions de Boussaâda et du Tassili Ajjer. Existe-t-il des ressemblances entre les deux sites ?

Le travail exécuté à Boussaâda en 76-77 a permis la confirmation de travaux antérieurs mettant en évidence une phase climatique aride située autour de treize mille ans, qui a eu pour conséquence l’obstruction et le remblaiement par des amas sableux de toute l’écluse (ouverture) du piémont sud de l’Atlas saharien. Ces travaux ont permis de démontrer une diminution des nappes d’eau et un déplacement des limites bioclimatiques dans cette région. Une culture préhistorique a été mise en évidence au sommet de ces remblaiements, celle d’une population ibéro-maurassienne qui occupait les lieux à ce moment-là (13 000 ans).  Par contre le travail sur le Tassili était beaucoup plus complexe, s’étalant sur de nombreuses années. Tout d’abord, il y eut une participation aux travaux de fouille du site de Tin Hanakaten, au sud du Tassili. Puis il y eut un second axe : pour une mise au point chrono-stratigraphique de l’art rupestre saharien par la conjonction d’une étude paléogéographique et géomorphologique en relation avec un art gravé dans l’oued Tidunadj (Tassili toujours). Cette étude menée en collaboration avec deux autres collègues a permis de démontrer que l’art rupestre saharien est paléolithique et non plus uniquement néolithique, comme beaucoup le croyaient jusqu’à une date récente. Maintenant, il est confirmé que l’art rupestre du centre du Sahara date au moins de l’aride pré-ocène, une période qui s’étale entre vingt et onze mille ans. En troisième lieu, j’ai eu la chance de diriger une fouille préhistorique sur une nécropole animale que nous avons datée du sixième millénaire. Cette nécropole s’étale sur 80 ha dans l’oued Maukhan (Tassili). Les travaux nous ont permis de mettre en évidence un rituel autour du bœuf que pratiquaient les hommes préhistoriques. Ces pratiques cultuelles se résumaient en la mise en terre dans des fosses de 80 cm à 1 m de diamètre sur 1,20 m de profondeur, différentes parties du jeune bœuf sacrifié en mettant la partie postérieure à la base, le reste de l’animal par-dessus avec quelque fois le crâne fiché au milieu de l’inhumation. (Le museau vers le bas). Tout comme nous avons mis en évidence que ces animaux étaient mis dans des sacs avant leur enterrement. Des traces de raclage de la chair sur des os nous permettent de croire que toute la chair était enlevée et que certains os étaient même calcinés, accompagnés de poterie et d’autres vestiges dans l’inhumation.

Dans les temps les plus reculés, le Sahara peut-il être considéré comme une mer intérieure ou plutôt comme un grand lac ? Quelles furent les conséquences de son assèchement sur l’évolution de l’homme ?

Depuis l’apparition de l’homme, le Sahara est dans l’état actuel, avec cependant des nuances, de déplacement des limites bioclimatiques, qui ont permis au Sahara, par moment de gagner en humidité, devenir un peu plus clément pour l’habitat (hommes, animaux, végétation), donnant des paysages certes un peu plus vert mais limités dans l’espace. Par d’autres moments, d’intenses périodes arides et sèches ont affecté le milieu saharien. C’est cette aridité qui a été le facteur le plus imposant et le plus déterminant dans l’évolution climatique du Sahara. L’actuelle aridité est présente depuis au moins les deux derniers millénaires.

(Suite de l’entretien dans l’édition de demain)

Ahmed. B

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