L’historien et auteur du rapport sur «Les questions mémorielles» remis le 20 janvier dernier à Emmanuel Macron, a plaidé avant-hier sur la Chaîne qatarie Al Jazeera pour le pardon de certains crimes commis par l’armée française lors de l’émission consacrée à ce sujet en présence du conseiller chargé des archives et de la mémoire auprès de la présidence, Abdelmadjid Chikhi.
«Je plaide pour le pardon de certains crimes pour rapprocher les deux peuples» dit-il avant d’ajouter que «le président Macron a reconnu les crimes de Maurice Audin et de Me Ali Boumendjel, deux préconisations que j’ai mises dans le rapport». Stora espère ainsi que cette reconnaissance du crime englobe celle de Larbi Ben M’hidi. «Des fois la reconnaissance même tardive est mieux que l’oubli!» précise-t-il. «J’ai dit dans mon rapport que je ne suis pas contre le pardon.
Pourquoi ne devrions-nous pas le faire ? Et nous devrons aussi discuter des dossiers des expériences nucléaires et des archives» ajoute-t-il encore. Pour sa part, Abdelmadjid Chikhi qui se trouvait pour la première fois face-à-face à Benjamin Stora dans cette émission a réagi au rapport Stora après avoir observé un mutisme depuis sa publication. «Je n’ai aucun commentaire à faire sur ce rapport parce qu’il est destiné en premier lieu aux autorités françaises. Ce rapport ne nous est pas destiné pour qu’il ait une réponse.
Pour nous, ce rapport n’existe pas. Nous sommes toujours disposés à travailler avec la partie française mais nous revendiquons toujours que nous soit rendu ce qui nous appartient» dit-il encore. «En Algérie nous avons une seule mémoire mais en France il y a encore ceux qui croient qu’ils ont perdu l’Algérie et rêvent toujours de la reconquérir». En parlant du dossier des archives, Chikhi a indiqué que «celles-ci ont été transférées de force vers la France.
Pourtant les lois internationales à ce sujet sont claires. Elles sont la propriété du pays où elles ont été émises. Aussi nous exigeons l’application stricte de cette règle universelle». Au sujet de la déclassification des archives de plus de 50 ans, notamment en ce qui concerne les documents relatifs à la guerre d’Algérie récemment décidée par le président Macron, Chikhi a estimé que ces archives «ne seront pas accessibles aux Algériens mais qu’elles sont destinées exclusivement aux chercheurs et historiens français».
Abdelmadjid Chikhi : « Je n’ai eu de contacts avec l’historien français Benjamin Stora qu’à deux reprises par téléphone. Il m’a affirmé qu’il préparait un rapport à la demande du président français, Emmanuel Macron, et qu’il ne pouvait pas parler de ce dossier avant de remettre son rapport aux autorités françaises», avait-il déclaré. Nommé le 29 avril 2020, Chikhi s’est violemment attaqué à la France neuf jours plus tard sur les ondes de la Radio nationale.
Il a accusé la France «de livrer une lutte acharnée contre les composantes de l’identité nationale» tout en émettant des doutes sur la volonté politique de la France de «faire aboutir ces pourparlers». Pour rappel, l’Algérie insiste et en particulier sur le dossier des essais nucléaires français dans le Sud, et sur celui des «disparus» pendant la guerre d’indépendance -plus de 2 200 – selon les autorités algériennes. Le rapport Stora préconise une ouverture et un partage des archives coloniales sensibles entre Algériens et Français.
Mais l’application d’un règlement datant de 2020 entrave de fait les travaux de recherche des historiens sur la période 1934-1970, période qui couvre notamment les guerres de décolonisation en Algérie. À la suite de la mobilisation des historiens, archivistes et juristes, qui ont déposé deux recours devant le Conseil d’État, et du rapport Stora, le président Macron entend faciliter l’accès aux archives classées secret-défense par une nouvelle loi.
Mahmoud Tadjer