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Entretien

Abderrahmane Hadef (*) à «Crésus»: «Il faut ouvrir le débat sur la refonte de la fiscalité locale»

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Evoquant le prochain code des collectivités territoriales, M. Abderrahmane Hadef, dans cette interview accordée à «Crésus», s’exprime sur l’optimisation de la gouvernance et la gestion locale à même d’assurer un développement local durable.

Propos recueillis par Lynda Naili

Crésus : Des ateliers pour la révision des Codes communal et de wilaya s’ouvriront début 2022. D’après vous, à quels changements devrons-nous nous attendre?

Abderrahmane Hadef : Il s’agit essentiellement d’une réforme dans le système national de gouvernance des institutions et collectivités publiques pour accompagner le projet de construction d’une nouvelle Algérie en quoi nous aspirons tous pour un meilleur avenir. La révision des codes communal et de wilaya constitue une étape importante pour la mise en adéquation de l’arsenal juridique avec les réalités et la vie de nos concitoyens. Il devient urgent de redéfinir la relation entre l’administration publique et les élus du peuple au niveau local d’une part, et entre les collectivités locales et l’administration centrale d’autre part. Aussi, il est important de revoir le statut ainsi que les prérogatives des élus locaux et leur permettre de devenir des acteurs actifs dans l’élaboration et l’exécution des politiques de développement local. Avec toutes les évolutions que nous enregistrons par rapport aux aspects social, économique et culturel, il devient urgent de redéfinir le mode et les outils de gouvernance locale pour un développement local performant et durable.

Dans le cadre de cette refonte, une révision de la fiscalité locale a également été annoncée. Quels sont  les mécanismes financiers, qui selon vous, permettront aux élus locaux de créer des nouvelles sources financières devant leur assurer une autonomie ou du moins qui soulageraient le Trésor public ?

Au-delà des grands axes sur lesquels repose le système fiscal national, il est indispensable d’ouvrir le débat sur une éventuelle refonte de la fiscalité locale. Les régions doivent disposer d’une certaine marge de manœuvre dans ce sens à travers des leviers leur permettant d’avoir une certaine autonomie et aussi d’envisager des projections en termes d’aménagement et développement des territoires. Avec l’évolution des affaires économiques et par souci d’avoir un développement économique durable, la configuration actuelle de la fiscalité locale, basée essentiellement sur la Taxe foncière, la Taxe d’assainissement, la Taxe sur l’activité professionnelle(TAP) et un prorata sur la TVA, doit être révisée et mise en conformité avec les nouveaux paramètres Micro et Macro-économique. Il faut lancer la réflexion sur une nouvelle configuration qui sera bénéfique aux régions et aux acteurs socio- économiques.  Une Taxe comme la TAP doit, à mon sens, être supprimée et remplacée par une autre taxe plus juste et incitative. Créer de nouvelles taxes comme celle sur la Fortune peut être envisagée. On peut aussi prévoir une taxe additionnelle sur le foncier se trouvant à l’intérieur des centres villes et qui ne contribue nullement dans la création de la richesse pour la collectivité. Parallèlement, il faut doter les collectivités locales et les administrations chargées de la gestion et la collecte des impôts, par les moyens humains et matériels nécessaires pour l’accomplissement de leurs missions. L’administration locale doit disposer d’un personnel hautement qualifié dans le domaine fiscal, qui nécessite de l’expertise et l’ingéniosité lui permettant la gestion, le suivi et surtout le recouvrement des impôts de la manière la plus efficace. Ceci va lui permettre certainement d’améliorer le processus de  recouvrement pour plus d’efficacité et de maîtrise. La modernisation des systèmes d’information devient plus que nécessaire si ce n’est vital. Des systèmes qui permettent de faire le suivi et surtout une optimisation du recouvrement. D’ailleurs cette dernière tâche demeure un des points à améliorer dans le système fiscal algérien. Chaque année, on enregistre un grand décalage entre les recettes prévues et ce qui est réellement récolté. Un grand effort dans ce sens doit être porté rapidement.

Comment faire pour que les nouveaux élus agissent enfin en managers soumis à l’obligation du résultat et de redevabilité et s’affranchir de la gestion bureaucratique ?

En premier lieu, il  s’agit d’élaborer un état exhaustif représentant la relation entre les institutions centrales et locales dans la prise de décisions et la liberté d’agir sans recours aux autorités centrales. Par la suite, procéder au transfert des prérogatives et des pouvoirs qui peuvent être transférés pour donner plus d’efficacité dans l’action publique locale. Parallèlement, il est dorénavant impératif que les responsables locaux aient un niveau d’instruction minimum dans le management public leur permettant d’exercer leurs missions aisément. C’est à partir de là, que l’on pourra parler de capacité à exécuter des plans de développement stratégiques, déclinés en plans opérationnels  Smart (spécifique, mesurable, atteignable, réaliste et temporellement défini) avec un suivi permanent.

Dans ce contexte, comment concilier la dépénalisation de l’acte de gestion, l’esprit d’initiative et le durcissement du contrôle des dépenses publiques ?

Déjà, il faut traduire cette décision juridiquement par la révision du code des procédures pénales, ensuite il est important de faire un travail pédagogique envers les responsables d’institutions publiques et le tenant du pouvoir au niveau local pour les rassurer et les accompagner dans l’exécution de leurs missions. Un point aussi important, à mon avis sur cette question, consiste en la diligente révision du code des marchés publics pour le rendre plus adéquat et non contraignant dans la gestion de passation de marchés et de la commande publique.

De quelle manière,  les collectivités territoriales, dans leurs politiques locales, peuvent-elles déployées les objectifs du développement durable ?

Déjà, avant le déploiement, il faut les maîtriser et prendre connaissance de l’ensemble du dispositif encadrant les 17 ODD. Par la suite, il y a lieu de procéder par ordre de priorités et selon les spécifications des régions.

Estimez-vous que l’intégration de l’Economie sociale et solidaire (ESS) ainsi que de l’innovation sociale dans les politiques publiques locales constituent de réels atouts pour répondre aux enjeux socio-économiques des collectivités territoriales et assurer l’équilibre du développement régional ?

A mon sens, c’est un levier d’une extrême importance qu’il faut rapidement mettre en œuvre à condition de le déployer selon le contexte local et ne pas essayer d’importer les expériences étrangères. La société civile et le citoyen doivent être mis au centre de cette démarche, qui, à moyen terme, serait salutaire pour les collectivités locales en développement socio-économique. Idem pour la Responsabilité sociale des entreprises (RSE), qui doit être inscrite dans tous les projets économiques pour un développement harmonieux et cohérent prenant en compte la dimension écologique.

Dans l’organisation territoriale du pays, l’on retrouve distinctement et hiérarchiquement la commune puis la wilaya. Quel est alors, aujourd’hui, la raison d’être de la daïra dont les missions ont été réduites ?  Quel est son rôle dans le développement local ?

Dans le cadre de la réforme des codes de la commune et de wilaya, il est très important de redéfinir le rôle des daïras en leur conférant des missions beaucoup plus opérationnelles qu’administratives. Aussi, on constate la venue d’une autre entité qui est le Médiateur de la République qui a été initiée par le Président de la République pour des dossiers extrêmement importants tels que le suivi des projets d’investissement. Donc, il est important que les missions et les prérogatives des daïras soient clairement définies pour éviter tout chevauchement et dysfonctionnement.

(*) Bio-express 

Abderrahmane Hadef est General Manager du Cabinet de Conseil Intelligence Vector Consulting, ancien chef de cabinet du ministère de la Numérisation et des statistiques, ancien président de la Chambre de commerce et d’industrie de la wilaya de Médéa, Serial Entrepreneur, ancien Cadre supérieur dans l’Amont pétrolier à Sonatrach, ingénieur d’Etat en Informatique à l’Inelec-Boumerdès, post-graduation Spécialisé à l’Inped-Boumerdès et executive MBA de MDI Alger/EDHEC Lille.

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Denis Martinez : Il était une fois Aouchem C’est en pensant à Tahar Djaout et Youcef Sebti, qui étaient ses amis, que je me suis intéressé à l’artiste plasticien Denis Martinez, ancien professeur à l’école des Beaux-arts d’Alger.

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Et puis, en lisant sa notice biographique, j’apprends qu’il est né en 1941 à Mostaganem, lieu de naissance d’un autre grand peintre, à savoir Mohamed Khadda, qui a représenté dans ses gravures et ses aquarelles, les troncs et les racines des oliviers des Ouadhias. Quelle coïncidence. Mais pas que, puisque Mostaganem, tout comme Ghazaouet a vu naitre d’autres grands artistes, de la scène cette fois entre autres Ould Abderrahmane Kaki et Abdelkader Alloula (né à Ghazaouet). Ces villes de l’Ouest sont des villes de culture et d’histoire.

Ce qui caractérise Denis Martinez, c’est, en plus de son œuvre picturale qui est magnifique, le fait qu’il a fait partie, au lendemain de l’indépendance, de ceux qu’on peut considérer comme les agitateurs culturels, comme il se rencontre de nos jours des influenceurs et des agitateurs sur les réseaux sociaux : les facebookeurs, les instragameurs, les tiktokeurs, les twiteurs, dont le rôle est prépondérants sur les phénomènes sociaux de mode , de tendances vestimentaires ou autres, et même la façon de penser des nouvelles générations.

Ce groupe dont a fait partie le jeune artiste plasticien Denis Martinez, avec ses amis Choukri Mesli et Mustapha Adnan, s’appelait le groupe Aouchem. Et ce qu’il y a lieu de signaler, c’est que ce groupe avait rédigé un manifeste. Donc, à la base, il y avait une pensée, des idées, un projet culturel, dans lequel on se donnait des racines et on se fixait des objectifs. C’est très sérieux, parce que ça fait penser aussi bien aux Amis du Manifeste de Ferhat Abbas, qu’au Manifeste des surréalistes d’André Breton. Non pas qu’Aouchem se rattachait sur le plan politique à Ferhat Abbas, ni qu’ils s’affiliaient à la doctrine surréaliste, mais je parle ici de la démarche… Je veux dire, qu’au lendemain de l’indépendance, en plein bouillonnement culturel et d’autres questionnements sur le modèle de société à bâtir, il y eut un groupe de jeunes artistes plasticiens algériens qui prenaient la peine et le temps de se structurer, de penser leur mouvement, de réfléchir au sens à donner à leur travail de création, au sein de la jeune société. Dans le même temps, des écrivains algériens créaient  l’Union des écrivains algériens, avec des auteurs comme Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Assia Djebbar, Moufdi Zakaria, Malek Haddad…

Aouchem veut dire Tatouage. Il fait référence aux motifs géométriques pratiqués à la surface du corps et dans lesquels on introduit des matières colorantes. Denis Martinez, pour sa part, va encore plus loin, puisqu’il élargit l’éventail aussi bien à l’art pariétal du Tassili, au talisman, au totem, aux masques africains, aux caractères du Tifinagh, aux arabesques, à la calligraphie arabe… Ainsi, on apprend que chez Denis Martinez, «Des totems, talismans, figurines et masques ont longtemps balisé des parcours fléchés comme autant de cheminements initiatiques, puisant dans l’héritage de l’Antiquité africaine et de l’artisanat maghrébin les motifs d’un langage esthétique».

Sous la pression des événements tragiques de la décennie quatre-vingt-dix, Denis Martinez s‘était établi à Marseille, au Sud de la France,  mais au début des années 2000, il est revenu en Algérie, pour se ressourcer à l’air vivifiant de sa terre natale, s’inspirant des signes ancestraux pour irriguer de leur sève et de leur énergie ce qui permettait de bâtir un langage esthétique nouveau. D’où l’exposition et le spectacle organisés récemment dans l’enceinte de la villa Abdelatif,  et intitulé «Actes de vie», ainsi que «Tretoir m’kessar».

Poète lui-même, Denis Martinez a aussi illustré les plaquettes de Jean Sénac, Tahar Djaout, Hamid Tibouchi, Djamel Amrani, Youcef  Sebti. Il est donc au carrefour d’une poly créativité féconde, allant de la palette du peintre aux planches des dramaturges, bâtissant une esthétique plurielle dans ce qu’elle a de beau, de généreux, de profondément africain  et maghrébin.

Ahmed B.

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Entretien avec Nadjib Ferhat : L’homme qui chuchote à l’oreille des fossiles Notre histoire a été écrite par les autres… Il était temps que des historiens et chercheurs algériens dépoussièrent les archives pour restituer la vérité sur notre passé, notre identité et notre personnalité. Avec Nadjib Ferhat, nous faisons une virée dans la préhistoire.

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Question : On dit que l’Afrique est considérée comme le berceau de l’humanité.

Réponse : Bien sûr, l’Afrique est incontestablement le berceau de l’humanité. Les plus anciens fossiles d’australopithèques sont connus sur le sol africain. On peut citer Lucy, un australopithèque daté de 3,2 millions d’années, ou bien l’homme de Toumaye, autour de quatre millions d’années. A partir de là, l’expansion humaine s’est faite dans plusieurs directions.

Question : Les recherches ont montré que la présence humaine est attestée depuis des millénaires dans la région du Maghreb. Y a-t-il une continuité de peuplement dans cette région du monde ?

Réponse : Bien sûr. Les travaux menés depuis les années cinquante par les préhistoriens ont été confirmés ces dernières années par la reprise et la continuité des fouilles sur les sites mêmes de An Ahnech et Ain Boucherit. Ce sont en fait un seul et même paléo lac autour duquel ont vécu des hommes il y a deux millions et quatre cent mille ans. C’est la plus ancienne date obtenue sur des ossements d’animaux (hippopotames, éléphants, ancêtres des chevaux, etc…) qu’on a connus au Maghreb. Depuis, le peuplement du Maghreb tout comme celui du Sahara fut un continuum ininterrompu jusqu’à nos jours.

Question : Vous avez employé, au cours d’une intervention, l’expression de capitale numido-romaine en parlant de Cirta, comme d’autres ont utilisé l’expression gallo-romaine… Quel fut l’apport des Numides à la civilisation romaine ?

Réponse : Vous savez, l’histoire est contée toujours avec certaines idées qu’on veut inculquer à l’apprenant. Je m’explique. L’histoire comme elle nous a été apprise dans notre jeunesse par les instituteurs du moment fait état de la civilisation grecque, et de la civilisation romaine, deux faits culturels majeurs qui ont imprégné le peuple autochtone du Maghreb. Ces mêmes livres d’histoire parlent d’arts musulmans, au lieu de culture musulmane, comme si l’arrivée des musulmans n’a pas apporté une véritable culture civiisationnelle avec elle. Les livres d’histoire en France parlent de culture grecque, mais à l’arrivée des Romains, on retrouve la notion de culture gallo-romaine, voulant ainsi dire à leurs apprenants que quand les Romains sont arrivés, ils avaient trouvé une culture gauloise qui était déjà présente. Nous partons du fait que les Romains n’ont pas colonisé le Maghreb en voulant s’y installer mais ont plutôt adopté une politique de romanisation des locaux. Ainsi donc, on peut dire que  ce ne sont pas les Romains qui ont bâti toutes les villes antiques ou laissé des vestiges de cette époque à travers le territoire, mais ce sont plutôt nos ancêtres numides qui les ont bâtis. C’est la raison pour laquelle il est judicieux de parler de culture numido-romaine de ces vestiges et non pas de culture romaine, afin de ne pas omettre l’apport des Numides.

Question : Certains ont une vision stratifiée de l’histoire du Maghreb, opposant les périodes les unes contre les autres… En quoi cette vision est-elle erronée ?

Réponse : L’histoire du peuplement du Maghreb est sans aucun doute un continuum depuis l’homo habilis représenté par l’homme de Ain Ahnech (Ain Boucherit) il y a 2,4 millions d’années à nos jours. Toutes les cultures et les civilisations qui sont venues par la suite se sont ajoutées à une souche préalablement présente. Ces arrivées multiples à travers l’histoire ont parfois été belliqueuses et d’autres fois amicales. En revanche, elles se sont toutes fondues avec les locaux, leurs descendants devenant eux-mêmes des locaux. Toute cette dialectique que l’histoire nous relate a un impact sur la spécificité de l’Algérien, tel qu’on le connait de nos jours. Ce n’est qu’en reconnaissant et en assumant toute son Histoire avec ses hauts et ses bas que l’Algérien pourra être fier de son passé, assurant son présent dans le concert des Nations et pouvant sereinement construire son avenir en toute confiance.

Question : Les amateurs d’archéologie et de préhistoire regrettent l’absence d’une revue de vulgarisation spécialisée. Le financement d’une telle revue est-il si difficile ?

Réponse : Vous savez, pour une revue, ce n’est pas la création qui est difficile. Je vais parler d’un exemple quasi personnel. J’ai collaboré il y a quelques années à une revue qui s’appelait Assekrem, du nom de l’un des plateaux du Hoggar. Cette revue se voulait une revue destinée au milieu estudiantin, mettant à sa disposition des articles traitant de diverses sciences mais dans un langage simplifié. Le problème de cette revue n’était point celui de trouver des auteurs d’articles. Toute personne à qui on s’adressait était contente de proposer un papier sans demander une contrepartie. Mais le problème était celui de son financement. Après une longue période de déficit, on a mis la clef sous la porte. En outre, il a existé une revue de haut standing scientifique et culturelle qui s’appelait Libyca, qui par un laisser-aller incompréhensible de la part du ministère de la culture, a fini par disparaitre. Actuellement, il y a une seule revue qui traite du patrimoine archéologique à l’échelle nationale, c’est une revue du mouvement associatif qui s’appelle Ikosim. Pour qu’une revue puisse exister et vivre, il y a lieu de mettre en place une véritable politique et une volonté de faire connaitre son patrimoine à la société, et bien entendu, cela doit être accompagné d’un soutien financier conséquent.

Question : Les gravures rupestres sont un atout touristique indéniable. Dans le même temps, on signale des dégradations. Quelles sont les mesures à prendre pour concilier le tourisme et la protection des sites ?

Réponse : Bien sûr, les gravures sont un atout touristique incontestable. Mais la mise en tourisme de tout le patrimoine fait partie d’une volonté politique. Cependant, la protection du patrimoine n’est pas seulement l’affaire de l’Etat et de ses structures, mais l’affaire de tous. Pour que le patrimoine culturel, archéologique notamment, soit admis et reconnu par tout un chacun, il est de première nécessité d’une part que les gens soient imprégnés de son importance, depuis la cellule familiale en passant par l’école jusqu’à la vie active. Et d’autre part, il faut que ce patrimoine ne soit plus considéré par les gestionnaires comme un handicap au développement socio-économique de leur région. Mais plutôt comme une valeur ajoutée à leur programme. Néanmoins, pour que ce patrimoine soit préservé, il faut que les populations qui vivent à proximité puissent y voir une source d’apport financier et qu’ils en vivent. Ce n’est que par le truchement et un mélange de tous ces ingrédients que le patrimoine archéologique sera reconnu et sauvegardé. Et c’est ainsi qu’il intégrera le développement socio-économique des territoires et des populations.

Ahmed B.

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Entretien avec Nadjib Ferhat : L’homme qui chuchote à l’oreille des fossiles Notre histoire a été écrite par les autres… Il était temps que des historiens et chercheurs algériens dépoussièrent les archives pour restituer la vérité sur notre passé, notre identité et notre personnalité. Avec Nadjib Mahfoud, nous faisons une virée dans la préhistoire.

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  Crésus : Avec vous, on entre de plain-pied dans les temps reculés de la préhistoire, à savoir le quaternaire. Que représente pour vous cette période géologique ?

Nadjib Ferhat : C’est une période qui représente pour moi, l’émergence de l’humanité. En effet, chacune des périodes géologiques connues, comme le primaire, le secondaire, le tertiaire et le quaternaire se distingue par l’apparition ou la disparition d’un fossile. Le quaternaire se distingue du tertiaire par l’apparition du fossile homme. C’est ce qui nous amène tout de suite à considérer le quaternaire comme étant la période où apparait l’homme, et l’étude du quaternaire implique directement l’étude de cet homme en tant que fossile géologique mais aussi comme producteur de culture. D’où la définition de la préhistoire : c’est l’étude de cet homme et de ses productions culturelles, depuis son apparition jusqu’à l’invention des écritures. Là où commence l’histoire.

Vous avez entre autres, travaillé sur les industries préhistoriques de la paléo vallée de Timimoune dans leur contexte stratigraphique. Peut-on résumer les résultats de ces recherches ?

C’est une recherche que j’ai menée fin des années 70, début des années 80, où j’ai eu le bonheur et la chance d’étudier la mise en place de la sebkha de Timimoune et la mise en place du grand Erg occidental en suivant l’évolution des installations humaines préhistoriques dans la région. Cela a permis de situer la disposition actuelle de la vallée de Timimoune en tant que sebkha depuis l’obstruction des eaux qui lui parvenaient de l’Atlas saharien par l’installation de l’actuelle Erg occidental. Cette disposition date de la civilisation atérienne, à savoir depuis quarante mille ans.

Vous avez également dirigé des fouilles archéologiques dans des sites des régions de Boussaâda et du Tassili Ajjer. Existe-t-il des ressemblances entre les deux sites ?

Le travail exécuté à Boussaâda en 76-77 a permis la confirmation de travaux antérieurs mettant en évidence une phase climatique aride située autour de treize mille ans, qui a eu pour conséquence l’obstruction et le remblaiement par des amas sableux de toute l’écluse (ouverture) du piémont sud de l’Atlas saharien. Ces travaux ont permis de démontrer une diminution des nappes d’eau et un déplacement des limites bioclimatiques dans cette région. Une culture préhistorique a été mise en évidence au sommet de ces remblaiements, celle d’une population ibéro-maurassienne qui occupait les lieux à ce moment-là (13 000 ans).  Par contre le travail sur le Tassili était beaucoup plus complexe, s’étalant sur de nombreuses années. Tout d’abord, il y eut une participation aux travaux de fouille du site de Tin Hanakaten, au sud du Tassili. Puis il y eut un second axe : pour une mise au point chrono-stratigraphique de l’art rupestre saharien par la conjonction d’une étude paléogéographique et géomorphologique en relation avec un art gravé dans l’oued Tidunadj (Tassili toujours). Cette étude menée en collaboration avec deux autres collègues a permis de démontrer que l’art rupestre saharien est paléolithique et non plus uniquement néolithique, comme beaucoup le croyaient jusqu’à une date récente. Maintenant, il est confirmé que l’art rupestre du centre du Sahara date au moins de l’aride pré-ocène, une période qui s’étale entre vingt et onze mille ans. En troisième lieu, j’ai eu la chance de diriger une fouille préhistorique sur une nécropole animale que nous avons datée du sixième millénaire. Cette nécropole s’étale sur 80 ha dans l’oued Maukhan (Tassili). Les travaux nous ont permis de mettre en évidence un rituel autour du bœuf que pratiquaient les hommes préhistoriques. Ces pratiques cultuelles se résumaient en la mise en terre dans des fosses de 80 cm à 1 m de diamètre sur 1,20 m de profondeur, différentes parties du jeune bœuf sacrifié en mettant la partie postérieure à la base, le reste de l’animal par-dessus avec quelque fois le crâne fiché au milieu de l’inhumation. (Le museau vers le bas). Tout comme nous avons mis en évidence que ces animaux étaient mis dans des sacs avant leur enterrement. Des traces de raclage de la chair sur des os nous permettent de croire que toute la chair était enlevée et que certains os étaient même calcinés, accompagnés de poterie et d’autres vestiges dans l’inhumation.

Dans les temps les plus reculés, le Sahara peut-il être considéré comme une mer intérieure ou plutôt comme un grand lac ? Quelles furent les conséquences de son assèchement sur l’évolution de l’homme ?

Depuis l’apparition de l’homme, le Sahara est dans l’état actuel, avec cependant des nuances, de déplacement des limites bioclimatiques, qui ont permis au Sahara, par moment de gagner en humidité, devenir un peu plus clément pour l’habitat (hommes, animaux, végétation), donnant des paysages certes un peu plus vert mais limités dans l’espace. Par d’autres moments, d’intenses périodes arides et sèches ont affecté le milieu saharien. C’est cette aridité qui a été le facteur le plus imposant et le plus déterminant dans l’évolution climatique du Sahara. L’actuelle aridité est présente depuis au moins les deux derniers millénaires.

(Suite de l’entretien dans l’édition de demain)

Ahmed. B

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