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Entretien

Ali Kahlane, expert en TIC: «Prévenir les cybers menaces, plus grand défi à relever»

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Cyber espace, cyber attaques, cybercriminalité, cyber sécurité, cyber-offensive, cyber-terrorisme cyber-résilience autant de mots du champ lexical du monde du numérique qui désormais, est incontournable à plus d’un titre. C’est autour des enjeux et des défis de la digitalisation  et surtout de la sécurité informatique que M. Ali Kahlane, expert en TIC, répond aux questions de «Crésus».

Propos recueillis par Lynda NAILI

Crésus : Quelle évaluation faites-vous de l’écosystème numérique national ?

Ali Kahlane : En ces temps de pandémie, l’utilisation des technologies du numérique a permis de grandement capitaliser de ses retombées. Cela s’est fait au gré des décisions gouvernementales qui obligent la population à se confiner, à recourir au télétravail, au télé-enseignement et surtout à l’usage soutenu de la visioconférence qui est devenu presque naturel. Cela a contribué à l’accélération de l’usage des outils numériques en général et du téléphone mobile en particulier qui souvent, a été le seul lien avec le monde extérieur et la vie sociale.

Les chiffres de 2020, communiqués par l’Autorité de Régulation de la Poste et des Communications Électroniques (ARPCE), montrent un débit de bande passante qui enregistre un premier pic de 1,71 Tbps soit une augmentation de 49%. La consommation est passée à 4,1 milliards de Go par rapport à la période pré-covid.  Pour cette année et en l’espace de six mois, un pic de 1,96 Tbps a été atteint. Tout porte à croire que les 3Tbps seraient dépassés d’ici la fin de cette année.

Cela a prouvé aux décideurs, tout en confortant les professionnels, persuadant les indécis à tous les niveaux, que le numérique est désormais incontournable pour, non seulement permettre à l’économie d’un pays de continuer à tourner, quoique bridée, mais surtout donner la possibilité à tout un peuple d’endurer un quasi «emprisonnement» volontaire, bousculant ainsi, toutes les habitudes en réduisant ses zones de confort  au seul écran du smartphone dont la connexion à Internet devient aussi vitale que l’eau.
 
Peut-on dire, alors, que ce sont ces entraves qui freinent les entreprises à s’inscrire dans la dynamique de digitalisation et de protection contre les cybers attaques ?       
Malgré le nombre de terminaux et l’amélioration de la connectivité, l’un des plus importants freins à la transformation numérique des entreprises et des organisations en général demeure une espèce d’analphabétisme numérique. Le “numérique” des réseaux sociaux prend le dessus sur tout le reste. Cet état de fait est exacerbé par le refus ou la réticence d’utiliser les outils du numérique dans le cadre du travail pour communiquer et produire. Cela est très souvent facilité et encouragé par un environnement complaisant et une hiérarchie qui laisse faire car elle n’est pas elle-même convaincue. Cela compromet, du coup, la capacité de l’écosystème à tirer le meilleur parti du digital sous toutes ses formes.

Les choses se compliquent encore plus, lorsque cette méconnaissance du numérique expose aussi bien les organisations que les personnes à des risques majeurs liés au «côté obscur» de la connectivité tels que cybers attaques, escroqueries, les fake news ou les contenus préjudiciables.

C’est pour dire que la digitalisation des entreprises ou de toute organisation, quel qu’en soit la nature, est d’une nécessité absolue, elle ne doit souffrir d’aucune tergiversation quant à sa sécurité numérique. Il est à noter que le retard dans la numérisation des entreprises ou des institutions qui est enregistré ça et là, n’est bien sûr pas récent. Il remonte, pour certains secteurs, à plus de 15 ans, si ce n’est plus pour certains autres, et n’explique pas à lui seul ce décalage. 

En effet, le citoyen attend toujours des services en ligne inclusifs. Les dirigeants quant à eux, aimeraient mieux gérer leur finance publique ainsi que leur foncier au moyen d’un outil numérique décentralisé et interconnecté. L’introduction et l’usage du courrier électronique comme outil de communication principal dans le secteur privé et public n’est désormais plus une option qui est renvoyée d’une année sur l’autre. La normalisation horizontale et la sécurisation de toute la communication numérique, y compris la présence sur Internet, au moyen de sites web ou des réseaux sociaux,  doivent être largement prises en charge  pour une meilleure visibilité numérique et un échange efficace et productif.

Le plus grand défi à relever, par les temps qui courent, est celui de prévenir et de détecter les multiples cybers menaces et traiter les cybers attaques dont le nombre va grandissant. Il ne faut jamais oublier que la cybercriminalité est, à bien des égards, le crime parfait : le risque est faible et il est très rentable pour celui qui le fait. Il y a largement de quoi faire avec de plus en plus d’entreprises qui se digitalisent en migrant sur le web. Certaines transfèrent toute leur base de données sur le Cloud. Les attaques prennent désormais diverses formes. Elles sont de plus en plus difficiles à découvrir, elles sont beaucoup plus dangereuses et surtout ne montrent aucun signe de ralentissement. Heureusement que les moyens pour se protéger existent et sont efficaces, il suffit de le mettre en œuvre.
 
Aujourd’hui, on parle de «nouvelle génération» de cyber attaques ? En quoi consistent exactement ces menaces ?
On parle de cyber menaces ou attaques de “nouvelle génération” ou de 5ème génération, lorsque celles-ci sont à grande échelle, qu’elles sont multi-vecteurs (tel un missile à plusieurs têtes) et qu’elles sont conçues pour infecter plusieurs composants d’une infrastructure informatique. Le tout en quasi-simultané. Il en est ainsi de l’infection des réseaux, des machines virtuelles, des instances Cloud et des terminaux. Les célèbres virus  “NotPetya” et “WannaCry” sont les premiers exemples de ce type.

Les attaques de génération V se caractérisent généralement par leur capacité à provoquer de très grands dégâts comme la violation de données, tel un accès non autorisé ou le destruction de service (DeOS) qui bloque la présence en ligne d’une organisation. Le terme «génération» est utilisé pour montrer l’évolution de la sécurité de l’information caractérisée par la décennie, le vecteur d’attaque et la charge utile malveillante. La première génération de cyber attaques date de la fin des années 1980, elle consistait en des virus transportés sur des disquettes. Au cours de la deuxième génération, apparue au début des années 90, les attaques commençaient à être lancées via Internet et de moins en moins via des disquettes et des CD. Au cours de la troisième génération, qui a eu lieu au début des années 2000, les cyber-attaquants ont à nouveau évolué pour exploiter les vulnérabilités des applications logicielles qui reposaient sur l’accès à Internet et les flash-disques. Durant les années 2010, les cyber-attaquants ont poursuivi cette évolution en développant des logiciels malveillants polymorphes, c’est la 4e génération dont les attaques sont les poly formes. Tel un caméléon, elles prennent différentes formes selon les cibles.

Dans notre pays, la plupart des entreprises ou institutions ne sont qu’au niveau d’une sécurisation de Troisième, voire de Deuxième génération. Cela donne, au mieux une protection contre les virus, les attaques d’applications ou les téléchargements de logiciels malveillants. Ce type de protection est d’ailleurs généralement fourni avec le système d’exploitation. Cela peut parfois être doublé ou remplacé par une protection basique, assurée au moyen d’antivirus du commerce. Le sentiment de sécurité informatique dans ces structures est trompeur. Beaucoup d’utilisateurs ne parviennent plus à gérer le flux d’attaques de plus en plus virulent. Ces dernières peuvent causer de grands dommages, qui vont aller crescendo vue la dépendance réelle au numérique que nous avons, aussi bien dans la vie professionnelle que privée.

Selon une récente étude de Sonatype, une plateforme d’analyse de la composition des logiciels, les cybers attaques de «nouvelle génération» s’attaquent en particulier aux logiciels open source. Elles sont en train d’augmenter de manière exponentielle. Il est prévu qu’elles seraient de 800% en 2022.

Les cybercriminels sont toujours en avance d’une ou plusieurs technologies, ils innovent et excellent dans les variantes que permet la Cinquième génération et se préparent activement à la Sixième en utilisant des techniques de l’intelligence artificielle.
 
Quels sont, dans ce cas, les outils de protection à même de développer un environnement cyber-résilient ?

Plusieurs Etats, en Europe, au Japon, aux Etats-Unis, en Russie et en Chine, pour ne citer que les plus importants, considèrent la cyber sécurité comme la priorité en matière de sécurité économique et nationale. Dans le monde civil, Internet est désormais considéré comme le «quatrième service public», après les télécommunications, l’électricité et l’eau. Dans le monde militaire, Internet constitue un atout tout aussi stratégique qu’il faut protéger, au même titre que la terre, la mer, l’air auquel il faut ajouter maintenant l’espace, qu’il soit réel ou virtuel.

C’est ainsi que le virtuel, le cyberespace, est le nouveau champ de confrontation. Il s’illustre par la guerre de Quatrième génération. Que cela soit dans le domaine civil ou militaire. Ces risques d’attaques sont de quatre types : la cybercriminalité, la déstabilisation qui peut être insidieuse ou offensive, l’espionnage ou le sabotage qui peut être économique ou militaire. Les événements qui avaient défrayés la chronique en juillet dernier, avec l’affaire Pegasus, ont montrés que nous sommes désormais à l’ère de la cyber-offensive et du cyber-terrorisme d’Etat.

La stratégie de défense globale à adopter, en profondeur, pour la meilleure des cyber-résilience, doit prendre en charge trois éléments fondamentaux. D’abord le facteur humain, tout doit être fait pour qu’il fasse partie de la solution pour sécuriser l’environnement et ne doit surtout pas faire partie du problème. Ensuite, il y a les processus pour lesquels il faut mettre en place les meilleures pratiques, l’hygiène d’utilisation systématique le tout doit être aisément reproductible et prévisible pour assurer, rassurer et renforcer continuellement la sécurité dans les organisations. Le troisième élément est l’utilisation de la technologie pour implanter des solutions de sécurité matérielle et logicielle. Ces dernières doivent en particulier,  prendre en charge l’identification et l’accès au moyen des meilleures méthodes de détection et de prévention, elles doivent être compatibles entre elles pour optimiser une protection totale sans nuire à la productivité.             

A ce propos, il est utile de rappeler que le décret présidentiel N° 20-05 du 20 janvier 2020, fait obligation, dans son article 41, à toute organisation publique ou privée de désigner  son responsable chargé de la sécurité des systèmes d’information. Le Dispositif national de la sécurité des systèmes d’information (Cf. Le même décret qui comprend le Conseil national de la sécurité des systèmes d’information et l’Agence de la sécurité des systèmes d’informations, définit clairement leurs missions et objectifs. Ces structures doivent urgemment être opérationnelles au vu et au su de tout un chacun pour assurer et renforcer la cyber sécurité du pays.

Le smartphone et son utilisation est invasive. Il a démocratisé l’usage numérique pour toutes les générations. Les enfants, les moins de 15 ans, sont une partie prenante non négligeable de ces utilisateurs. Ils peuvent y avoir directement, car il leur appartient, ou indirectement. Qui n’a pas donné son téléphone mobile à son enfant pour une utilisation temporaire pour jouer ou l’aider pour un devoir? C’est pour cela, qu’il y a des leçons de base que les enfants doivent très tôt apprendre. Leur sécurité et celle de leur environnement doit être assurée au fur et à mesure qu’ils avancent dans la vie. Comme regarder des deux côtés avant de traverser la rue, porter la ceinture de sécurité, éviter de parler à des étrangers. Il est maintenant grand temps d’en ajouter une autre à la liste : se méfier des cybers pirates et des fake news.

La digitalisation des établissements financiers est incontournable. Estimez-vous qu’ils soient prêts à endosser ce processus qui, entre autres implique une sécurisation de données fiable ?

La sécurisation des données est à la base du fonctionnement d’une banque. C’est ainsi que l’Assemblée Générale des Nations Unies a, dès 1995, adopté la résolution A/RES/45/95, portant sur les principes directeurs de la réglementation des fichiers personnels informatisés. Plusieurs textes ont été promulgués par l’Algérie pour aller dans le sens de cette résolution. La plus récente et la plus complète des lois est la N° 18-07 du 10 juin 2018 relative à la protection des données à caractère personnel. Elle nous met en adéquation avec le reste du monde, notamment le RGDP européen (Règlement général de la protection des données).

Les banques et les établissements financiers, ne peuvent plus faire l’économie d’offrir plus de services et de produits à leur clientèle en plus de l’optimisation de leur gestion interne. La digitalisation de ces établissements est un processus qui leur permet de développer une stratégie omnicanale, mieux ciblée. Le client, «particulier» ou «corporate»,  peut dorénavant être atteint directement à travers une application mobile ou une interface web. Le minimum de cette digitalisation est la banque en ligne. C’est la porte d’entrée de toutes les opérations de commerce électronique. Les corollaires sont le e-paiement (Paiement effectué à travers Internet en utilisant un moyen de paiement dématérialisé, tel que les cartes CIB ou Eddahabia) et le m-paiement (Paiement électronique qui utilise le mobile pour effectuer des paiements ou faire des transferts d’argent, tel que Baridimob, qui en est une bonne approche). Leurs sécurisations se doivent d’être totales et robustes, du clic de l’internaute chez le web marchand, au débit bancaire en passant par la plateforme de la SATIM (Opérateur monétique interbancaire) qui effectue cette opération financière.                                 

Les règles prudentielles que les banques et établissements financiers appliquent, sont en principe conçues pour éviter les déconvenues d’une insolvabilité clientèle. Elles doivent désormais inclure les cybers risques. Les cyber menaces auxquelles les banques sont confrontées aussi bien contre elles-mêmes que contre leur clientèle, sont réelles. Elles peuvent paraître incertaines mais elles sont potentiellement dévastatrices, car les adversaires cherchent constamment des vulnérabilités. Le cyber attaquant est en veille constante, sans jamais fermer l’œil car, pour la plupart du temps, ce sont des robots qui le font, pour lui. Ils essaient tout le temps, ils ne se fatiguent jamais et il suffit qu’ils réussissent à passer une fois pour gagner, alors que nous autres devons gagner tout le temps!

La création d’une Ecole de cyber sécurité a récemment été recommandée. Quels seraient ses objectifs et ses missions ? 

D’après les chiffres du dernier African Cyber Security Summit, tenu en 2020 à Alger, huit entreprises sur dix sont ciblées par des cyber-attaques tout type confondu. C’est la raison pour laquelle il est urgemment nécessaire de disposer des ressources humaines compétentes et spécialisées dans la  cybersécurité.

L’embauche des professionnels dans ce domaine formés et expérimentés se fait si rapidement qu’il existe une réelle pénurie de ressources humaines cybernétiques. Savoir identifier, recruter, former et surtout conserver cette main-d’œuvre nécessite une approche nouvelle et globale.

La menace des cybers attaques nécessitent la planification et la mise en place d’une stratégie de cyber défense, des infrastructures technologiques qui permette une gestion de la ressource humaine en adéquation avec toute demande spécifique.

Les spécialisations que fournissent certaines universités et grandes écoles algériennes, généralement des lieux plutôt conservateurs où la théorie l’emporte sur la pratique, sont loin d’être suffisantes pour prendre en charge la demande du secteur économique aussi bien en qualité qu’en qualité. La cyber sécurité est déjà assez complexe au niveau d’une entreprise, imaginez ce qu’elle peut être au niveau de la protection d’un pays. Il est important de noter que l’apport de l’Armée dans la cyber défense serait inefficace si les infrastructures critiques civiles, sont incapables de résister aux attaques d’où qu’elles proviennent.

Au classement mondial de 2021 sur la qualité du débit internet, l’Algérie a occupé la 86e place, derrière ses voisins immédiats. Selon vous, quelle stratégie à adopter pour améliorer cette classification ?

Les classements mondiaux du débit de connexion à Internet sont légion. Il en existe des dizaines en plus de celui auquel vous faites référence. D’après les 3 ou 4 autres classements mondiaux que je consulte régulièrement, il est indéniable que le débit moyen de l’Internet Algérie s’est substantiellement amélioré. La hausse a été de 30 à 40% par rapport à l’année dernière, selon les classements mondiaux. Il est vrai que cela ne veut pas dire que le classement relativement aux pays ait beaucoup bougé. Il se pourrait même qu’on ait perdu ou même gagné quelques places d’une année sur l’autre. Cela semble être le cas puisque l’Algérie est, malgré tout,  en train de gagner des places comme l’a montré le dernier classement de Speedest de la compagnie Ookla qui nous fait gagner 30 places en l’espace d’une année.

Bio-express : 

Ali Kahlane, Vice-président du Think Thank « CARE », Ex. conseiller du ministre des Transports.

 

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Denis Martinez : Il était une fois Aouchem C’est en pensant à Tahar Djaout et Youcef Sebti, qui étaient ses amis, que je me suis intéressé à l’artiste plasticien Denis Martinez, ancien professeur à l’école des Beaux-arts d’Alger.

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Et puis, en lisant sa notice biographique, j’apprends qu’il est né en 1941 à Mostaganem, lieu de naissance d’un autre grand peintre, à savoir Mohamed Khadda, qui a représenté dans ses gravures et ses aquarelles, les troncs et les racines des oliviers des Ouadhias. Quelle coïncidence. Mais pas que, puisque Mostaganem, tout comme Ghazaouet a vu naitre d’autres grands artistes, de la scène cette fois entre autres Ould Abderrahmane Kaki et Abdelkader Alloula (né à Ghazaouet). Ces villes de l’Ouest sont des villes de culture et d’histoire.

Ce qui caractérise Denis Martinez, c’est, en plus de son œuvre picturale qui est magnifique, le fait qu’il a fait partie, au lendemain de l’indépendance, de ceux qu’on peut considérer comme les agitateurs culturels, comme il se rencontre de nos jours des influenceurs et des agitateurs sur les réseaux sociaux : les facebookeurs, les instragameurs, les tiktokeurs, les twiteurs, dont le rôle est prépondérants sur les phénomènes sociaux de mode , de tendances vestimentaires ou autres, et même la façon de penser des nouvelles générations.

Ce groupe dont a fait partie le jeune artiste plasticien Denis Martinez, avec ses amis Choukri Mesli et Mustapha Adnan, s’appelait le groupe Aouchem. Et ce qu’il y a lieu de signaler, c’est que ce groupe avait rédigé un manifeste. Donc, à la base, il y avait une pensée, des idées, un projet culturel, dans lequel on se donnait des racines et on se fixait des objectifs. C’est très sérieux, parce que ça fait penser aussi bien aux Amis du Manifeste de Ferhat Abbas, qu’au Manifeste des surréalistes d’André Breton. Non pas qu’Aouchem se rattachait sur le plan politique à Ferhat Abbas, ni qu’ils s’affiliaient à la doctrine surréaliste, mais je parle ici de la démarche… Je veux dire, qu’au lendemain de l’indépendance, en plein bouillonnement culturel et d’autres questionnements sur le modèle de société à bâtir, il y eut un groupe de jeunes artistes plasticiens algériens qui prenaient la peine et le temps de se structurer, de penser leur mouvement, de réfléchir au sens à donner à leur travail de création, au sein de la jeune société. Dans le même temps, des écrivains algériens créaient  l’Union des écrivains algériens, avec des auteurs comme Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Assia Djebbar, Moufdi Zakaria, Malek Haddad…

Aouchem veut dire Tatouage. Il fait référence aux motifs géométriques pratiqués à la surface du corps et dans lesquels on introduit des matières colorantes. Denis Martinez, pour sa part, va encore plus loin, puisqu’il élargit l’éventail aussi bien à l’art pariétal du Tassili, au talisman, au totem, aux masques africains, aux caractères du Tifinagh, aux arabesques, à la calligraphie arabe… Ainsi, on apprend que chez Denis Martinez, «Des totems, talismans, figurines et masques ont longtemps balisé des parcours fléchés comme autant de cheminements initiatiques, puisant dans l’héritage de l’Antiquité africaine et de l’artisanat maghrébin les motifs d’un langage esthétique».

Sous la pression des événements tragiques de la décennie quatre-vingt-dix, Denis Martinez s‘était établi à Marseille, au Sud de la France,  mais au début des années 2000, il est revenu en Algérie, pour se ressourcer à l’air vivifiant de sa terre natale, s’inspirant des signes ancestraux pour irriguer de leur sève et de leur énergie ce qui permettait de bâtir un langage esthétique nouveau. D’où l’exposition et le spectacle organisés récemment dans l’enceinte de la villa Abdelatif,  et intitulé «Actes de vie», ainsi que «Tretoir m’kessar».

Poète lui-même, Denis Martinez a aussi illustré les plaquettes de Jean Sénac, Tahar Djaout, Hamid Tibouchi, Djamel Amrani, Youcef  Sebti. Il est donc au carrefour d’une poly créativité féconde, allant de la palette du peintre aux planches des dramaturges, bâtissant une esthétique plurielle dans ce qu’elle a de beau, de généreux, de profondément africain  et maghrébin.

Ahmed B.

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Entretien avec Nadjib Ferhat : L’homme qui chuchote à l’oreille des fossiles Notre histoire a été écrite par les autres… Il était temps que des historiens et chercheurs algériens dépoussièrent les archives pour restituer la vérité sur notre passé, notre identité et notre personnalité. Avec Nadjib Ferhat, nous faisons une virée dans la préhistoire.

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Question : On dit que l’Afrique est considérée comme le berceau de l’humanité.

Réponse : Bien sûr, l’Afrique est incontestablement le berceau de l’humanité. Les plus anciens fossiles d’australopithèques sont connus sur le sol africain. On peut citer Lucy, un australopithèque daté de 3,2 millions d’années, ou bien l’homme de Toumaye, autour de quatre millions d’années. A partir de là, l’expansion humaine s’est faite dans plusieurs directions.

Question : Les recherches ont montré que la présence humaine est attestée depuis des millénaires dans la région du Maghreb. Y a-t-il une continuité de peuplement dans cette région du monde ?

Réponse : Bien sûr. Les travaux menés depuis les années cinquante par les préhistoriens ont été confirmés ces dernières années par la reprise et la continuité des fouilles sur les sites mêmes de An Ahnech et Ain Boucherit. Ce sont en fait un seul et même paléo lac autour duquel ont vécu des hommes il y a deux millions et quatre cent mille ans. C’est la plus ancienne date obtenue sur des ossements d’animaux (hippopotames, éléphants, ancêtres des chevaux, etc…) qu’on a connus au Maghreb. Depuis, le peuplement du Maghreb tout comme celui du Sahara fut un continuum ininterrompu jusqu’à nos jours.

Question : Vous avez employé, au cours d’une intervention, l’expression de capitale numido-romaine en parlant de Cirta, comme d’autres ont utilisé l’expression gallo-romaine… Quel fut l’apport des Numides à la civilisation romaine ?

Réponse : Vous savez, l’histoire est contée toujours avec certaines idées qu’on veut inculquer à l’apprenant. Je m’explique. L’histoire comme elle nous a été apprise dans notre jeunesse par les instituteurs du moment fait état de la civilisation grecque, et de la civilisation romaine, deux faits culturels majeurs qui ont imprégné le peuple autochtone du Maghreb. Ces mêmes livres d’histoire parlent d’arts musulmans, au lieu de culture musulmane, comme si l’arrivée des musulmans n’a pas apporté une véritable culture civiisationnelle avec elle. Les livres d’histoire en France parlent de culture grecque, mais à l’arrivée des Romains, on retrouve la notion de culture gallo-romaine, voulant ainsi dire à leurs apprenants que quand les Romains sont arrivés, ils avaient trouvé une culture gauloise qui était déjà présente. Nous partons du fait que les Romains n’ont pas colonisé le Maghreb en voulant s’y installer mais ont plutôt adopté une politique de romanisation des locaux. Ainsi donc, on peut dire que  ce ne sont pas les Romains qui ont bâti toutes les villes antiques ou laissé des vestiges de cette époque à travers le territoire, mais ce sont plutôt nos ancêtres numides qui les ont bâtis. C’est la raison pour laquelle il est judicieux de parler de culture numido-romaine de ces vestiges et non pas de culture romaine, afin de ne pas omettre l’apport des Numides.

Question : Certains ont une vision stratifiée de l’histoire du Maghreb, opposant les périodes les unes contre les autres… En quoi cette vision est-elle erronée ?

Réponse : L’histoire du peuplement du Maghreb est sans aucun doute un continuum depuis l’homo habilis représenté par l’homme de Ain Ahnech (Ain Boucherit) il y a 2,4 millions d’années à nos jours. Toutes les cultures et les civilisations qui sont venues par la suite se sont ajoutées à une souche préalablement présente. Ces arrivées multiples à travers l’histoire ont parfois été belliqueuses et d’autres fois amicales. En revanche, elles se sont toutes fondues avec les locaux, leurs descendants devenant eux-mêmes des locaux. Toute cette dialectique que l’histoire nous relate a un impact sur la spécificité de l’Algérien, tel qu’on le connait de nos jours. Ce n’est qu’en reconnaissant et en assumant toute son Histoire avec ses hauts et ses bas que l’Algérien pourra être fier de son passé, assurant son présent dans le concert des Nations et pouvant sereinement construire son avenir en toute confiance.

Question : Les amateurs d’archéologie et de préhistoire regrettent l’absence d’une revue de vulgarisation spécialisée. Le financement d’une telle revue est-il si difficile ?

Réponse : Vous savez, pour une revue, ce n’est pas la création qui est difficile. Je vais parler d’un exemple quasi personnel. J’ai collaboré il y a quelques années à une revue qui s’appelait Assekrem, du nom de l’un des plateaux du Hoggar. Cette revue se voulait une revue destinée au milieu estudiantin, mettant à sa disposition des articles traitant de diverses sciences mais dans un langage simplifié. Le problème de cette revue n’était point celui de trouver des auteurs d’articles. Toute personne à qui on s’adressait était contente de proposer un papier sans demander une contrepartie. Mais le problème était celui de son financement. Après une longue période de déficit, on a mis la clef sous la porte. En outre, il a existé une revue de haut standing scientifique et culturelle qui s’appelait Libyca, qui par un laisser-aller incompréhensible de la part du ministère de la culture, a fini par disparaitre. Actuellement, il y a une seule revue qui traite du patrimoine archéologique à l’échelle nationale, c’est une revue du mouvement associatif qui s’appelle Ikosim. Pour qu’une revue puisse exister et vivre, il y a lieu de mettre en place une véritable politique et une volonté de faire connaitre son patrimoine à la société, et bien entendu, cela doit être accompagné d’un soutien financier conséquent.

Question : Les gravures rupestres sont un atout touristique indéniable. Dans le même temps, on signale des dégradations. Quelles sont les mesures à prendre pour concilier le tourisme et la protection des sites ?

Réponse : Bien sûr, les gravures sont un atout touristique incontestable. Mais la mise en tourisme de tout le patrimoine fait partie d’une volonté politique. Cependant, la protection du patrimoine n’est pas seulement l’affaire de l’Etat et de ses structures, mais l’affaire de tous. Pour que le patrimoine culturel, archéologique notamment, soit admis et reconnu par tout un chacun, il est de première nécessité d’une part que les gens soient imprégnés de son importance, depuis la cellule familiale en passant par l’école jusqu’à la vie active. Et d’autre part, il faut que ce patrimoine ne soit plus considéré par les gestionnaires comme un handicap au développement socio-économique de leur région. Mais plutôt comme une valeur ajoutée à leur programme. Néanmoins, pour que ce patrimoine soit préservé, il faut que les populations qui vivent à proximité puissent y voir une source d’apport financier et qu’ils en vivent. Ce n’est que par le truchement et un mélange de tous ces ingrédients que le patrimoine archéologique sera reconnu et sauvegardé. Et c’est ainsi qu’il intégrera le développement socio-économique des territoires et des populations.

Ahmed B.

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Entretien avec Nadjib Ferhat : L’homme qui chuchote à l’oreille des fossiles Notre histoire a été écrite par les autres… Il était temps que des historiens et chercheurs algériens dépoussièrent les archives pour restituer la vérité sur notre passé, notre identité et notre personnalité. Avec Nadjib Mahfoud, nous faisons une virée dans la préhistoire.

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  Crésus : Avec vous, on entre de plain-pied dans les temps reculés de la préhistoire, à savoir le quaternaire. Que représente pour vous cette période géologique ?

Nadjib Ferhat : C’est une période qui représente pour moi, l’émergence de l’humanité. En effet, chacune des périodes géologiques connues, comme le primaire, le secondaire, le tertiaire et le quaternaire se distingue par l’apparition ou la disparition d’un fossile. Le quaternaire se distingue du tertiaire par l’apparition du fossile homme. C’est ce qui nous amène tout de suite à considérer le quaternaire comme étant la période où apparait l’homme, et l’étude du quaternaire implique directement l’étude de cet homme en tant que fossile géologique mais aussi comme producteur de culture. D’où la définition de la préhistoire : c’est l’étude de cet homme et de ses productions culturelles, depuis son apparition jusqu’à l’invention des écritures. Là où commence l’histoire.

Vous avez entre autres, travaillé sur les industries préhistoriques de la paléo vallée de Timimoune dans leur contexte stratigraphique. Peut-on résumer les résultats de ces recherches ?

C’est une recherche que j’ai menée fin des années 70, début des années 80, où j’ai eu le bonheur et la chance d’étudier la mise en place de la sebkha de Timimoune et la mise en place du grand Erg occidental en suivant l’évolution des installations humaines préhistoriques dans la région. Cela a permis de situer la disposition actuelle de la vallée de Timimoune en tant que sebkha depuis l’obstruction des eaux qui lui parvenaient de l’Atlas saharien par l’installation de l’actuelle Erg occidental. Cette disposition date de la civilisation atérienne, à savoir depuis quarante mille ans.

Vous avez également dirigé des fouilles archéologiques dans des sites des régions de Boussaâda et du Tassili Ajjer. Existe-t-il des ressemblances entre les deux sites ?

Le travail exécuté à Boussaâda en 76-77 a permis la confirmation de travaux antérieurs mettant en évidence une phase climatique aride située autour de treize mille ans, qui a eu pour conséquence l’obstruction et le remblaiement par des amas sableux de toute l’écluse (ouverture) du piémont sud de l’Atlas saharien. Ces travaux ont permis de démontrer une diminution des nappes d’eau et un déplacement des limites bioclimatiques dans cette région. Une culture préhistorique a été mise en évidence au sommet de ces remblaiements, celle d’une population ibéro-maurassienne qui occupait les lieux à ce moment-là (13 000 ans).  Par contre le travail sur le Tassili était beaucoup plus complexe, s’étalant sur de nombreuses années. Tout d’abord, il y eut une participation aux travaux de fouille du site de Tin Hanakaten, au sud du Tassili. Puis il y eut un second axe : pour une mise au point chrono-stratigraphique de l’art rupestre saharien par la conjonction d’une étude paléogéographique et géomorphologique en relation avec un art gravé dans l’oued Tidunadj (Tassili toujours). Cette étude menée en collaboration avec deux autres collègues a permis de démontrer que l’art rupestre saharien est paléolithique et non plus uniquement néolithique, comme beaucoup le croyaient jusqu’à une date récente. Maintenant, il est confirmé que l’art rupestre du centre du Sahara date au moins de l’aride pré-ocène, une période qui s’étale entre vingt et onze mille ans. En troisième lieu, j’ai eu la chance de diriger une fouille préhistorique sur une nécropole animale que nous avons datée du sixième millénaire. Cette nécropole s’étale sur 80 ha dans l’oued Maukhan (Tassili). Les travaux nous ont permis de mettre en évidence un rituel autour du bœuf que pratiquaient les hommes préhistoriques. Ces pratiques cultuelles se résumaient en la mise en terre dans des fosses de 80 cm à 1 m de diamètre sur 1,20 m de profondeur, différentes parties du jeune bœuf sacrifié en mettant la partie postérieure à la base, le reste de l’animal par-dessus avec quelque fois le crâne fiché au milieu de l’inhumation. (Le museau vers le bas). Tout comme nous avons mis en évidence que ces animaux étaient mis dans des sacs avant leur enterrement. Des traces de raclage de la chair sur des os nous permettent de croire que toute la chair était enlevée et que certains os étaient même calcinés, accompagnés de poterie et d’autres vestiges dans l’inhumation.

Dans les temps les plus reculés, le Sahara peut-il être considéré comme une mer intérieure ou plutôt comme un grand lac ? Quelles furent les conséquences de son assèchement sur l’évolution de l’homme ?

Depuis l’apparition de l’homme, le Sahara est dans l’état actuel, avec cependant des nuances, de déplacement des limites bioclimatiques, qui ont permis au Sahara, par moment de gagner en humidité, devenir un peu plus clément pour l’habitat (hommes, animaux, végétation), donnant des paysages certes un peu plus vert mais limités dans l’espace. Par d’autres moments, d’intenses périodes arides et sèches ont affecté le milieu saharien. C’est cette aridité qui a été le facteur le plus imposant et le plus déterminant dans l’évolution climatique du Sahara. L’actuelle aridité est présente depuis au moins les deux derniers millénaires.

(Suite de l’entretien dans l’édition de demain)

Ahmed. B

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