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2001-2021 : Quel bilan pour l’armement militaire terrestre ? Entretien Pierre Santoni
Entretien avec le colonel Pierre Santoni, ancien chef de corps du CENZUB-94ème RI, auteur de nombreux articles et publications sur la tactique et l’histoire militaire appliquée à la guerre moderne.
Article paru In Revue Conflits
Les vingt dernières années ont été une période de test sur le terrain de nouveaux équipements et de nouvelles armes. Quelles sont les innovations majeures ?
Les drones : Même si les drones existent depuis longtemps et ont été largement employés (Sud-Africains dans les années 1980 en Angola, Israéliens en 1982 contre les Syriens, etc.) entre 1980 et 2001, leur développement au combat a réellement démarré depuis 2001. Ils sont désormais armés, capables de vols de long distance et de grande endurance, peuvent frapper de manière précise et adaptée. Ils occupent un large spectre tant dans le domaine stratégique, qu’opératif ou tactique, sont utilisés aussi bien par les forces spéciales que par les forces conventionnelles, pour toute sorte de missions. On peut y associer les munitions rôdeuses et autres engins de ce type.
La précision des munitions : Elle n’a cessé de progresser. Déjà au Kosovo en 1999, l’OTAN réalise des frappes de précision à distance avec des bombes guidées et des missiles de croisière. L’immeuble du MUP (PC de la police spéciale serbe ) est frappé en plein centre de Mitrovica sans que les autres immeubles ne souffrent réellement de dégâts collatéraux. Mais malgré cette débauche de munitions, les alliés n’infligent guère de pertes tactiques à la IIIe armée serbe, frappant plutôt les infrastructures et les voies de communication. L’Irak et l’Afghanistan voient par contre se développer de manière courante la délivrance de munitions de précision au profit de troupes engagées dans un combat au sol malgré la confusion de la mêlée par des aéronefs appelés à la rescousse. Les guideurs aériens avancés se multiplient et leurs moyens d’acquisition et de guidage ne cessent de progresser. Désormais, des mortiers et des canons peuvent délivrer des munitions de précision, même si cette technologie doit encore progresser. Nous ne sommes plus très loin de l’artillerie qui tire au but. Ce qui implique une véritable révolution sur le champ de bataille. Mais le coût des munitions de précision est énorme. Certaines armées (comme les Russes) ne renoncent pas à des munitions moins précises, mais plus facilement abordables et donc plus nombreuses.
La robotique : Elle a progressé, mais n’a pas encore atteint son stade de maturité tactique. On imagine qu’elle a encore une marge de manœuvre importante. Déjà des robots de surveillance et de logistique sont en service. Les robots de combat (sorte de chars inhabités) n’ont pas encore démontré leur flexibilité de manière probante, mais de nombreuses armées les testent déjà. Leur emploi pourrait s’apparenter historiquement à celui des chars entre 1917 et 1940. D’abord en appui au profit des autres armes, surtout l’infanterie et le génie, et en zone urbaine particulièrement. Puis plus tard, après avoir confirmé une certaine maturité technique et tactique, capables d’emploi autonome en formations dans lesquelles ils pourraient jouer le rôle principal. C’est un des chantiers les plus importants, car la faible taille des armées modernes impose une solution dans ce domaine. Les règles juridiques internationales ne sont toujours pas normées dans ce domaine crucial, signe de l’enjeu autour de ces nouveaux systèmes d’armes.
La guerre électronique (interception, brouillage, etc.) : Elle est devenue un élément essentiel de la supériorité tactique. Elle se compare désormais à la supériorité aérienne du XXe siècle. Elle ne donne pas la victoire, mais rien ne peut se faire si on ne la maîtrise pas. Sans défense adaptée, on perd toute liberté d’action. Associée aux attaques dans le cyberespace, elle descend au niveau tactique. Des soldats ukrainiens ont reçu des messages sur leurs téléphones portables, soit pour les déstabiliser, soit pour les repérer avant de les cibler par des frappes de saturation (artillerie de canons et de lance-roquettes multiples) lors des combats au Donbass. Elle a des effets à la fois matériels (brouillage des liaisons, détection des cibles, etc.) et immatériels (diffusion de fausses nouvelles, déstabilisation des chefs, des soldats, de la population, etc.).
Les armes laser semblent aussi ne pas avoir encore atteint leur maturité au niveau tactique terrestre. La débauche d’énergie nécessaire semble freiner leur développement, mais là encore, rien n’est arrêté. Des essais récents ont marqué des progrès pour pouvoir les embarquer sur des blindés légers. Ils pourraient s’avérer une réponse redoutable face aux drones, sorte de nouvelle artillerie sol-air. Enfin les ressources supposées de l’intelligence artificielle sont encore difficiles à apprécier. Vont-elles proposer au chef de guerre tactique des solutions tactiques applicables localement dans la confusion, le stress, la violence ?
La micro tactique du combattant et tous les petits équipements afférents (dispositifs d’aide au tir, de vision diurne et nocturne, radios miniaturisées, gilets de protection balistique, casques de type FS, ergonomie du combattant débarqué, etc.) : Le combattant de 2021 est presque aussi différent du combattant de 2001 que l’était le poilu de 1918 par rapport à celui de 1914. Un combattant logisticien au Mali est aujourd’hui mieux équipé qu’un parachutiste des Forces Spéciales au Kosovo en 1999. Les techniques de combat et de tir, dont le fameux Tir de Combat, très largement formalisé par des experts comme Philippe Perotti (ex-1er RPIMa) ou Alain Baeriswyl (Armée suisse), se sont désormais répandues dans toutes les unités et ont permis la supériorité en combat débarqué rapproché des unités occidentales, même en infériorité numérique. Les images des unités spéciales des taliban entrant dans Kaboul fin août 2021 montrent qu’aucun belligérant ne néglige ce segment. Les équipements de haute valeur technologique, si nécessaire soient-ils, ne sont pas suffisants et ne peuvent se substituer à des soldats maitrisant la totalité de leur domaine de compétence.
La longue période de contre-insurrection depuis 2003 a aussi vu la multiplication d’engins et d’armes trop spécifiques à ce type de combat. Les fameux MRAP (Mine Resistant Ambush Protection) ont démontré leurs qualités dans ce type de conflit, mais ne sont pas adaptés aux combats de demain en haute intensité. En zone urbaine par exemple, ils ne feraient pas le poids même face aux engins de la génération précédente (BMP 2, M 113, BTR, etc.). Le VCI chenillé protégé, comme le CV 90, que beaucoup vouaient à la disparition en 2001 s’est sans cesse modernisé et est désormais acquis par de nombreuses armées confrontées à une menace grandissante. Des modèles analogues (Lynx KF 41, Puma, Hanwha Redback, etc.) fleurissent dans les arsenaux des armées inquiètes de la remontée en puissance des menaces interétatiques. La protection des chars de combat pour stopper (ou minimiser) l’effet des munitions antichars a également fortement progressé. Le fameux système Trophy israélien, et d’autres modèles similaires dans le monde, se développe pour redonner davantage de protection aux blindés, sans en augmenter le poids. La recherche vers des engins à la fois plus légers et pourtant mieux protégés ne cesse pas. Pour autant, ces vingt années ont vu l’échec cuisant du programme américain Future Combat System (FCS) qui devait remplacer les engins de la génération précédente (M2 M3 Bradley, M1 Abrams, etc.) par des engins soi-disant plus légers. C’est le nouveau défi de l’US Army de parvenir à s’équiper d’une nouvelle génération de matériels terrestres qui lui permettent de conserver sa supériorité au sol. On n’engage pas impunément une Task Force mécanisée américaine. Ceux qui s’y sont essayés ( en Irak particulièrement) l’ont éprouvé à leurs dépens. Mais clairement, les nouveaux compétiteurs (Russes, Chinois, Turcs, etc.) entendent bien revenir à la hauteur des Américains sur ce créneau. La série des engins lourds T 14 et 15 russes, même si elle n’est pas encore aboutie, est un signal fort envoyé dans ce domaine. Les calibres augmentent jusqu’à 57 mm pour les VCI, et demain peut-être 140 mm pour les chars.
Enfin d’autres matériels n’ont cessé de progresser, tout en étant plus petits, plus faciles à mettre en œuvre et plus performants que leurs homologues du XXe siècle. Les postes radio, les radars de détection terrestres, les moyens optiques, les systèmes et porteurs logistiques sont réellement plus efficaces. Mais le corollaire est l’augmentation exponentielle des coûts qui pèsent sur les budgets de défense et rendent difficile l’acquisition de suffisamment de moyens pour mener une bataille cohérente dans la durée.
Les techniques de sauvetage au combat ont également progressé et les petits matériels qui les accompagnent (pansements spéciaux, trousse de secours) sont désormais distribués à tous les combattants. C’est un des aspects essentiels de la formation et de la préparation opérationnelle.
Les moyens de simulation (qui ne sont pas des armements au sens propre, mais concourent à la supériorité tactique en préparant les combattants) sont devenus incontournables dans l’instruction et l’entrainement des combattants. Les centres, comme le CENZUB-94e RI de Sissonne qui a démarré en 2005, sont désormais des références et nul n’envisage de se déployer sans avoir été préparé au sein de ces unités. Les simulateurs de tir direct sont incroyablement proches des armes réelles. Des simulateurs de tirs indirects sont également possibles sous différentes formes.
Ces nouveaux matériels sont-ils en train de modifier la manière de faire la guerre pour les armées qui en sont dotées ?
Cette question est l’une des plus difficiles qu’il soit. La guerre entre Arméniens et Azéris au Haut-Karabagh en 2020 a souligné le rôle des frappes à distance avec les drones et les munitions rôdeuses. Faut-il pour autant en faire un modèle du genre ? Face à un adversaire disposant d’une composante guerre électronique pouvant brouiller le guidage de ces engins, auraient-ils été si spectaculaires ? La majorité des exercices de l’OTAN, de l’armée russe (ZAPAD), de l’armée chinoise (débarquement sur une île proche…) continue de s’articuler autour de forces blindées-mécanisées certes modernes, mais globalement organisées comme durant la guerre froide. L’emploi de grandes formations aéroportées semble même revenir dans le spectre des possibles. Évolution ou Révolution ? On ne peut pas s’avancer trop en la matière. La géolocalisation fiable et sécurisée des porteurs terrestres (chars, VCI, etc.) et la transmission de données tactiques pourraient cependant conduire à une dilatation plus importante encore des dispositifs terrestres. On va quelque part relire la campagne d’Italie de 1795-1796 de Bonaparte pour rejouer la concentration-dispersion qui le rendit mondialement célèbre. Qui osera employer un peloton de chars ou une section mécanisée très loin dans la profondeur du dispositif ennemi en lui assurant des appuis sous forme de munitions de précision employables à longue distance ? Est-on prêt à une sorte de FSisation (si on peut s’autoriser ce néologisme) des forces conventionnelles ? Mais là encore, il y a beaucoup de choses toujours nimbées dans le brouillard. La guerre, surtout au niveau tactique, se prête mal à l’expérience de laboratoire. C’est souvent sur le terrain, et parfois trop tard, qu’on découvre de nouvelles tactiques et techniques de combat. La technologie ne s’éprouve pas avant le combat réel. Les combattants engagés au feu font souvent remonter leur propre expérience pour l’imposer aux états-majors.
Ce qui modifie la façon de faire la guerre , c’est aussi la volonté de limiter les pertes, non seulement au sein de ses propres troupes, mais aussi dans l’environnement immédiat. Or dans une guerre engageant l’intérêt vital, les choses peuvent évoluer très vite. Il ne faut pas s’arrêter à des circonstances locales même sur une période de vingt ans. La guerre de 1914 n’a rien à voir avec les conflits coloniaux, même avec celle de 1870. « La guerre est un caméléon », jamais la formule de Clausewitz n’a été aussi pertinente.
L’arme fondamentale du soldat d’infanterie reste le fusil. Les fusils d’assaut ont-ils changé de visage au cours des deux dernières décennies ?
Ils ont certes progressé en particulier dans le domaine de la visée. Les aides à la visée (viseurs holographiques, lunettes, aimpoint, pointeurs divers, télémètres, etc.) se sont multipliées. Mais globalement, la majorité des armes sont celles, ou issues de celles, entrées en service dans les années 80. Il est cependant désormais très rare de voir un soldat occidental ou russe avec un fusil lisse. Mais là aussi, on sent que des marges de manœuvre sont encore possibles. L’adoption généralisée de réducteurs de son pourrait changer beaucoup de choses dans le combat des petites unités mené par le sergent, le chef de groupe. Durant ces vingt années, la majorité des armées de l’OTAN sont restées attachées aux calibres hérités de la guerre froide (5,56 x 45 et 7,62 x 51 ), mais tout bouge très vite aussi. Les Américains expérimentent un nouveau calibre 6,8 x 43 pour éventuellement remplacer leurs M4 et M249 en 5,56. A suivre donc. Ce sont peut-être les fusils de sniping qui ont le plus évolué, mais cette évolution était déjà en germe avant 2001.
Snipers et Designated Marksman se sont multipliés, devenant des fonctions incontournables prisées par tous les belligérants. En même temps, l’AK 47 (7,62 x 39) a encore de beaux jours devant elle, vu son prix, sa rusticité, sa fiabilité et sa facilité de mise en œuvre et bien sûr sa disponibilité. Plus que les armes, ce sont les techniques et les micro-tactiques qui ont progressé. Tirer individuellement, c’est quand même assez simple. Tirer en groupe, fournir une performance tactique collective dans un environnement chaotique, au milieu des populations, c’est infiniment compliqué et stressant. On est à la fois très loin du lieutenant Genevoix commandant le tir de peloton durant la bataille de la Marne, comme il le raconte si bien dans l’inoubliable Ceux de 14, par les tactiques mises en œuvre et en même temps, très proche en termes de restitution collective sous le feu de savoir-faire individuels répétés au calme de l’entraînement.
Le fusil et son environnement immédiat (lance-grenade auxiliaire, pistolet automatique en Back-Up, fusil-mitrailleur de type Minimi comme arme collective, aide à la visée, grenades à main, étourdissantes, aveuglantes, fumigènes, gilet de protection balistique, protections auditives et oculaires, trousse de secours, éventuellement masque à gaz, etc.) restent le minimum minimorum de tout soldat engagé en zone de combat. Imagine-t-on aujourd’hui un soldat partir en mission sans gilet balistique ? La capacité de production ou d’approvisionnement sécurisé de toutes ces composantes (munitions de petit calibre, matériels individuels de protection, etc.) revêt donc un caractère stratégique.
Pendant la première décennie du XXIe siècle, les thèmes de la robotique, de l’infrarouge et du « soldat augmenté » paraissaient constituer l’avenir immédiat des forces armées professionnelles. Cela a-t-il été le cas ?
L’infrarouge n’était qu’une technique parmi d’autres. Aujourd’hui, on parlera plutôt de moyens de vision nocturne sans forcément préciser s’il s’agit d’infrarouge, d’intensification de lumière, de caméra thermique, etc. En ce sens , oui, les dispositifs de vision ont acquis une place très importante dans le combat.
La robotique, nous l’avons dit plus haut, n’a pas encore atteint un haut degré d’excellence tactique, mais son potentiel semble immense sous réserve qu’elle ne soit pas soumise à une supériorité électronique ennemie telle qu’elle ne puisse être mise en œuvre à distance.
Le « soldat augmenté » a-t-il été exclusivement défini comme une augmentation des performances naturelles de l’être humain ? Comme l’écrit Michel Goya, le chevalier du Moyen-Age, avec des éperons sur son cheval, sa selle particulière, son dispositif de maintien de la lance sous l’aisselle et son armure, est déjà en soi un soldat augmenté. Avec son gilet balistique, son poste radio individuel avec équipements de tête, son GPS, son éventuel système de géolocalisation, son camel back, sa musette ergonomique, son patch d’identification IR, thermique ou photo luminescent, sa lampe à éclat strobelight, ses gants de combat protecteurs, ses coudières et genouillères, ses lunettes de protection, etc. ; le soldat moderne est déjà en soi un soldat augmenté par rapport au Casque bleu de Sarajevo ou de Bihac en 1994. Ce dernier était plus proche d’un combattant de 1944 avec quelques moyens supplémentaires quand même…
Mais il ne court pas plus vite, doit aussi dormir et manger. Alors « augmenté » ? Cela reste à démontrer. Mais plus efficace, c’est sûr. Cela évite bien des problèmes à des soldats issus d’une société plus urbaine, plus confortable, plus attentive au bien-être individuel. Il serait indécent que les soldats engagés en zone hostile ne puissent bénéficier de ces améliorations qui les rendent plus performants et contribuent à préserver leur potentiel. Et ce d’autant plus qu’ils sont généralement moins nombreux que leurs ennemis au contact.
Selon vous, qu’est-ce qui n’a pas beaucoup progressé en vingt ans depuis 2001 ?
La dissimulation des unités tactiques et le camouflage des soldats et des blindés n’ont pas progressé suffisamment. Et pour cause, les technologies d’aide à la vision, les drones, les moyens d’écoute et de localisation, le développement des unités de renseignement ont atteint un tel niveau que la défense face à ces menaces de détection n’a pas progressé aussi vite. C’est pourquoi nombre de factions ont préféré le terrorisme ou la guérilla urbaine afin de se dérober, au milieu des populations ou à l’abri des bâtiments, aux détections des armées modernes. Celui qui saura retrouver le moyen de se dissimuler physiquement (et aussi de dissimuler ses intentions) va retrouver du même coup une mobilité tactique très largement diminuée. Cette aptitude à la dissimulation et à la surprise semble devenue l’apanage des seules forces spéciales ou de quelques sections spécialisées comme les tireurs d’élite. Agissant le plus souvent en contre-insurrection dans un relatif confort opératif, avec une supériorité aérienne et technologique écrasante, les unités tactiques modernes semblent avoir perdu le souci du camouflage. Les techniques de dissimulation (camouflage, peinture spéciale des engins, écrans de brouillage thermique, leurres, etc.) doivent donc faire l’objet d’une attention renouvelée. C’est absolument nécessaire si on veut retrouver une capacité de manœuvre au niveau tactique, celui de la section, de la compagnie ou escadron, du bataillon et même de la brigade.
N’oublions pas que n’importe quelle personne munie d’un téléphone portable transmet une image instantanée à l’autre bout de la terre en quelques secondes. Un smartphone est donc plus efficace que la quasi-totalité des moyens de transmission d’images utilisées en 1999 lors de l’entrée au Kosovo des troupes de l’OTAN. Il faut se camoufler, mais aussi leurrer les moyens de détection, les tromper, inonder l’ennemi de fausses images, se fondre au milieu de la foule, des villes, et d’autres milieux et donner à voir autre chose que ce que l’on veut cacher. Les technologies de la réalité augmentée, la supériorité informationnelle dans l’espace cyber, le leurre, la ruse de guerre (et non la perfidie qui est un crime de guerre), etc., doivent être utilisées dès le niveau tactique.
La protection contre les engins explosifs improvisés, malgré l’investissement consenti par les Américains, n’a pas non plus permis de contrecarrer cette tactique, même si les engins spécifiques (type MRAP) sont nettement plus efficaces.
À partir de ces vingt années depuis 2001, comment envisagez-vous le combat terrestre au niveau tactique dans les années à venir ?
Celui qui a la réponse à cette question sera quelqu’un de très convoité ! Sans tomber dans la science-fiction ou le tirage des cartes, on peut cependant poser quelques éléments. Rien n’interdit l’imagination puisque nous l’avons dit, la bataille est un phénomène qui ne peut s’expérimenter totalement avant le jour J. Le coût des munitions, la difficulté à former et surtout à renouveler rapidement les effectifs de soldats entraînés, une certaine désaffection pour l’état militaire, l’individualisme, les communautarismes de toutes sortes et la méfiance vis-à-vis de toute forme d’autorité semble exclure, du moins à court terme, les grandes batailles comme Koursk ou la Normandie. Même les États non démocratiques ne pourront longtemps mobiliser des masses de soldats prêts à se sacrifier pour leur cause. Mais à chaque fois que l’on a prévu une guerre courte et rapidement décisive, on s’est lourdement trompé. Essayons quand même…
L’engagement conventionnel promet d’être à la fois assez bref, mais très violent, avant, éventuellement, de se transformer en conflit de basse intensité, « sous le seuil » selon l’expression consacrée. Celui qui aura saisi des gages territoriaux sera alors en position de force et pourra facilement alimenter un narratif informationnel maitrisé. Donc, celui qui saura passer le plus rapidement d’un dispositif de temps de paix à un dispositif de temps de guerre bénéficiera d’un avantage considérable, quel que soit par ailleurs le rapport de forces global.
« La victoire appartient aux gros bataillons ». Cette maxime de Napoléon doit être adaptée.
Trop gros, ces bataillons seront lents à manœuvrer, rapidement détectés et neutralisés par des frappes indirectes de précision. Et pourtant un drone ou un avion ne peut pas planter un drapeau comme le disait l’ancien patron de la FINUL, le général Alain Pellégrini. Pour être vainqueur, in fine, il faut toujours « coucher sur le champ de bataille » sans exagérer les références à l’Empereur !
Plus petits, ils pourraient plus aisément échapper à la détection, se déplacer rapidement, se regrouper ou au contraire se disperser en fonction de l’ennemi, de la mission et du tempo opérationnels. La géolocalisation et une transmission de données fiable et sécurisée pourraient permettre ce véritable plug and play, cette « équipe d’équipes » pour reprendre l’expression du général Mac Chrystal. Leur reconfiguration serait plus facile ainsi que leur recomplètement logistique. Mais surtout leur utilité tactique sera optimisée, car ils seront facilement employables et rentables, évitant les longues phases de transition. Enfin, la taille revue et la protection améliorée des postes de commandement (véritables usines depuis vingt ans, peu mobiles et vulnérables) doit permettre une véritable permanence, même en cas de dégâts, après une première frappe.
Pour être direct, il vaudrait mieux trois bataillons de 300 combattants interarmes, bien entraînés et disposant d’appuis permanents guidés à longue distance (c’est-à-dire des missiles ou des roquettes guidés tirés depuis le sol, invulnérables au brouillage et peu dépendants de la météo ou de la DCA ennemie) qu’un régiment de 1000 hommes manœuvrant comme en 1975 avec une artillerie tirant à 30 kilomètres, aux munitions très pondéreuses et appuyées par une aviation tactique dont la présence n’est pas assurée du fait du déni d’accès.
Mais comment maintenir la permanence du feu avec des munitions au coût exponentiel ? De quelle manière, les mortiers embarqués peuvent-ils compenser ce déficit de canons ? Ne faut-il pas également revoir l’échelon d’engagement tactique ? Le niveau de la brigade est-il toujours pertinent ? Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est une brigade. Qu’y a-t-il de commun, au sein même de l’OTAN, entre des brigades de 8000 hommes avec plusieurs groupements tactiques de 1000 hommes et plus ; et des brigades de 2500 hommes avec trois bataillons de manœuvres de 650 hommes ?
En dehors des zones urbanisées, ne faut-il pas activer ou réactiver des zones sanctuaires ? (anciennes bases bétonnées de la Guerre froide, couloirs et dépôts suburbains difficiles à percer, zones montagneuses difficiles d’accès, zones faiblement peuplées, etc.).
Enfin, le combat dans la profondeur, habituelle référence magique des tacticiens, mérite d’être étudié avec attention. Projeter des unités blindées et mécanisées dans la profondeur opérative à des centaines de kilomètres pour y semer le chaos et le désordre, personne ne l’a réellement fait sauf à détenir une supériorité manifeste de moyens. (Armée Rouge en 1944, US Army en Irak en 2003 …). Il y aurait pourtant des pistes du fait des nouvelles technologies. On aurait là alors une vraie innovation tactique rompant avec les vingt années qui viennent de s’écouler.
Contribution
Extrait de la lettre de démission de Craig Mokhiber …..De concert avec tout cela, les médias corporatifs occidentaux, de plus en plus aux ordres des gouvernements, sont en totale rupture avec l’article 20 du PIDCP (ndt, Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté en 1966), déshumanisant les Palestiniens sans cesse pour justifier le génocide, et diffusant la propagande guerrière et les appels à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constituent une incitation à la discrimination, à l’hostilité et à la violence.
Les entreprises de réseaux sociaux basées aux États-Unis étouffent les voix des défenseurs des droits de l’homme tout en amplifiant la propagande pro-israélienne. Les gendarmes du lobby israélien sur le net et les
GONGOS (ndt, organisations non gouvernementales soutenues par des gouvernements) harcèlent et
diffament les défenseurs des droits de l’homme, les universités et employeurs occidentaux
collaborent avec eux pour punir ceux qui osent s’élever contre les atrocités. À la suite de ce génocide,
ces acteurs devront également rendre des comptes, comme ce fut le cas pour la radio des Milles
Collines au Rwanda.
Craig Mokhiber «directeur du
Bureau de New York du Haut Commissariat aux droits de l’homme
adressée le 28 Octobre 2023 au
Haut commissaire des droits de
l’homme, Volker Turk.»
Contribution
Extrait de la lettre de démission de Craig Mokhiber ….En tant que juriste spécialisé dans les droits de l’homme, avec plus de trente ans d’expérience dans ce domaine, je sais bien que le concept de génocide a souvent fait l’objet d’exploitation politique abusive.
Mais le massacre actuel du peuple palestinien, ancré dans une idéologie coloniale ethnonationaliste, dans la continuité de décennies de persécution et d’épuration systématiques,
entièrement fondé sur leur statut d’Arabes, et associé à des déclarations d’intention explicites des
dirigeants du gouvernement et de l’armée israéliens, ne laisse aucune place au doute ou au débat. À
Gaza, les habitations, les écoles, les églises, les mosquées et les établissements médicaux sont
attaqués sans raison et des milliers de civils sont massacrés. En Cisjordanie, y compris à Jérusalem
occupée, les maisons sont saisies et réattribuées en fonction uniquement de la race. Par ailleurs, de
violents pogroms perpétrés par les colons sont accompagnés par des unités militaires israéliennes.
Dans tout le pays, l’apartheid règne.
Il s’agit d’un cas d’école de génocide. Le projet colonial européen, ethno-nationaliste, de colonisation
en Palestine est entré dans sa phase finale, vers la destruction accélérée des derniers vestiges de la
vie palestinienne indigène en Palestine. Qui plus est, les gouvernements des États-Unis, du RoyaumeUni et d’une grande partie de l’Europe sont totalement complices de cet horrible assaut. Non
seulement ces gouvernements refusent de remplir leurs obligations conventionnelles “d’assurer le
respect” des conventions de Genève, mais ils arment activement l’offensive, fournissent un soutien
économique, des renseignements, et couvrent politiquement et diplomatiquement les atrocités
commises par Israël.
Extrait de la lettre de démission de Craig Mokhiber, directeur du Bureau de New York du Haut Commissariat aux droits de
l’homme adressée le 28 Octobre 2023 au Haut commissaire des droits de l’homme, Volker Turk.
Craig Mokhiber «directeur du Bureau de New
York du Haut Commissariat aux droits de l’homme adressée le 28 Octobre 2023 au Haut commissaire des droits de l’homme, Volker Turk.»
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Palestine Occupée : L’insoutenable arrogance du sionisme Les opérations militaires, lancées par l’armée israélienne, contre le district de Gaza participent pleinement d’une politique d’épuration ethnique des tous les territoires palestiniens occupés pour permettre enfin au projet de l’Etat juif de se réaliser. Lecture des enjeux d’une guerre sous haute protection américaine….
Quelques heures seulement après le début des bombardements massifs sur la population de Gaza, le
Ministre israélien de la défense Yoan Gallant a déclaré, sans aucune précaution de langage ni retenue,
que son armée ‘’combattait des animaux humains’’. Et voici qu’après avoir dépossédé le peuple
palestinien de sa terre le sionisme veut le déshumaniser. Ce n’est ni nouveau ni surprenant. Galant
est dans la ligne de ses ainés. Menahem Begin, l’ancien premier Ministre Israélien et ancien chef du
groupe terroriste l’Irgoun dans les années 40, dans un discours devant la Knesset (Parlement) en 1981,
avait, lui aussi, qualifié les dirigeants palestiniens d’animaux à deux pattes. Une année plus tard, en
juin 82, il confiera à son Ministre de la défense, le général Ariel Sharon, le soin d’aller neutraliser les
dirigeants de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) à Beyrouth et de démanteler ses
structures au Liban. Ce pays, qui compte le plus grand nombre de refugiés palestiniens à travers le
monde, servait de base arrière à la résistance. Sharon ne ménagera aucun moyen pour aller au bout
de sa mission .Il soumettra Beyrouth à un déluge de feu durant plus de trois mois, ce qui a failli la
rayer de la carte. Il y gagnera ses gallons de ‘’ boucher’’, après avoir planifié et encadré le massacre de
milliers de palestiniens désarmés,sans distinction de sexe ni d’âge dans les camps de refugiés de sabra
et Chattila.
Alignement Occidental
La logique n’a pas changé à Gaza en ce mois d’octobre 2023. Ce qui a changé c’est cet alignement sans
précédent des pays occidentaux, Etats Unis en tête, sur Israël. Il aura fallu plus de deux semaines
après le début des opérations militaires et une forte pression de l’opinion publique pour qu’enfin
des voix appelant à l’arrêt des bombardements sur Gaza s’expriment. Les medias ont été mis au pas
dès les premières heures pour participer au ‘’bombardement’’ de l’opinion publique et transformer le
bourreau en victime. On ne parlera que des ‘’exactions du Hamas’’, présenté comme ‘’groupe
terroriste’’ contre de paisibles citoyens israéliens. Il n’est nulle part question d’occupation d’un
territoire par la force, du massacre ou de l’exil forcé de sa population et de sa résistance avec les
moyens qui sont les siens.
Ce qui a changé aussi c’est cette forte et visible présence militaire des Etats Unis qui ont dépêché, au
premier jour des bombardements israéliens dans la région, le porte avion USS Gerald. R. Ford. Il sera
suivi, une semaine plus tard, par l’USS Eisenhower et ses navires d’escorte .Des troupes seront
également mises en alerte dans la région pour une éventuelle intervention terrestre.
Des conseillers militaires ont été envoyés pour assister l’armée israélienne dans ses opérations. Selon
le porte parole du Conseil de sécurité nationale, John Kirby, ces officiers ont de l’expérience dans ‘’le
type d’opérations qu’Israël mène et pourrait mener à l’avenir’’ et ‘’qu’ils étaient là bas pour partager
certaines perspectives’’. La mise en branle de cette armada est destinée à assurer une couverture à
Israël pour mener à bien ses opérations militaires. Sa mission est triple : dissuader des acteurs
régionaux à intervenir aux côtés du Hamas -principalement, l’Iran, le Hizbollah libanais, les milices
irakiennes et les Houtis yéménites- fournir l’assistance logistique nécessaire à la conduite des
opérations, enfin rassurer les alliés régionaux sur l’engagement US en cas de menaces. Le Secrétaire
d’Etat à la défense Lloyd Austin, en visite à Tel Aviv le 13 octobre pour superviser en personne
l’acheminement de l’aide militaire, affirmera que « les Etats Unis veilleront à ce qu’Israël dispose de
ce dont il a besoin pour se défendre ». Et comme si cela n’était pas suffisant, le General Michael Erik
Kurilla, commandant en chef du CENTCOM, fera lui aussi le voyage de Tel Aviv pour réitérer
l’engagement US à fournir tout l’armement nécessaire mais aussi la couverture militaire afin
« d’éviter que d’autres parties n’étendent le conflit ».
Engagement américain
Pour mieux valoriser cette présence américaine et l’étroite coordination militaire, le Secrétaire d’Etat
Anthony Blinken, premier responsable à s’être rendu en Israël, a pris part aux réunions du cabinet de
guerre présidé par le Premier Ministre Benjamin Netanyahu. Il faut remonter à la guerre d’octobre
1973 pour trouver un acte similaire. Henry Kissinger, qui était en charge du Département d’Etat, avait
participé aux réunions du cabinet de guerre dirigé par Golda Meir.
Le Président Jo Biden qui effectuera le déplacement de Tel Aviv sera le premier Président des Etats
Unis à siéger au cabinet de guerre israélien. Il s’y est rendu, dira t-il, pour ‘’ apporter son soutien’’ et
s’assurer que la conduite des opérations militaires s’effectue dans ‘’le respect du droit humanitaire’’
et, en particulier, pour convenir avec les responsables israéliens et Egyptiens de l’ouverture de
couloirs pour l’acheminement de l’aide alimentaire et médicale à une population assiégée qui compte
ses morts par milliers. Aucune pression ne sera exercée sur le gouvernement hébreu pour arrêter les
bombardements. Les Etats Unis s’en tiendront à cette position au niveau du Conseil de sécurité. Ils
opposeront leur véto à une résolution appelant à un cessez le feu humanitaire, et se contenteront
dans le texte qu’ils soumettront au vote de mentionner une simple pause humanitaire, tout en
condamnant l’attaque du Hamas et en appelant à la libération immédiate des otages. Une position
loin de décourager Israël à poursuivre ses opérations militaires.
Au cours de sa réunion avec ses homologues arabes de la région, au début de ce mois de Novembre à
Amman, Blinken réitérera sans aucune gêne le refus de son pays d’appeler à la fin des hostilités
militaires pour ouvrir la voie à l’acheminement de l’aide humanitaire et aux négociations politiques. Il
focalisera sur les perspectives du développement et de la coopération économique pour l’après
guerre. Il est d’autant plus à l’aise qu’il sait, comme l’a souligné dans une tribune, publiée dans les
colonnes du New York Times, le plus israélien des diplomates américains, Denis Ross que certains
dirigeants arabes de la région souhaitent qu’Israël aille jusqu’au bout pour en finir avec le Hamas « car
le retour au statut quo ou une victoire du Hamas constituerait un danger pour leurs propresrégimes ».
Le Qatar qui a abrite la direction du Mouvement palestinien a pris soin de rappeler par le biais de son
Ambassadeur à New York, Meshaal Bin Hamad Al Thani, dans une tribune publiée dans le Wall street
journal à la fin du mois d’octobre dernier, que son pays avait accueilli le bureau du Hamas en 2012
‘’à la demande des américains’’ et que la présence du bureau politique à Doha ne ‘’signifie pas que
notre pays soutien le mouvement.’’
Le complexe de l’holocauste
Les visites des responsables américains ouvriront un ballet diplomatique qui verra les dirigeants de
pays européens se bousculer aux portes du gouvernement israélien. Chacun ira de son discours pour
exprimer la disponibilité à fournir de l’aide à Israël pour se défendre et, pour les plus hardis d’entre
eux, à souhaiter une solution fondée sur le principe de deux Etats, aux conditions bien sûr d’Israël. Il
n’est nulle part fait mention de la légalité internationale, encore moins aux résolutions du conseil de
sécurité et de l’Assemblée générale de l’ONU qui ont clairement posé les bases d’un règlement,
notamment la résolution 242 portant sur le retrait israélien des territoires occupés en 1967 ou encore
celles, nombreuses, affirmant le droit au retour des refugiés.
Pour les dirigeants et responsables des pays occidentaux, qui se sont relayés à Tel Aviv, Israël serait
menacé dans son existence par les combattants du Hamas. Et pour éviter ce supposé nouvel
‘’holocauste’’ et surtout pour ne pas se rendre coupable de complicité, par les actes ou par le silence
comme l’ont fait leurs ainés avec les nazis, ils ont marqué leur engagement à défendre Israël. Le
Président Biden n’éprouvera aucune gêne à dire que ce nouvel épisode de la guerre entre colonisateur
et colonisé « a fait remonter à la surface des souvenirs douloureux et des cicatrices laissées par des
millénaires d’antisémitisme et de génocide du peuple juif. Le monde a regardé ce qui s’est passé. Il
savait. Et le monde n’a rien fait. Nous ne resterons pas sans rien faire une nouvelle fois. Ni aujourd’hui,
ni demain, ni jamais. » Le Chancelier allemand Olaf Sholz abondera dans le même sens. « La sécurité
d’Israël et de ses citoyennes et de ses citoyens est une raison d’Etat pour l’Allemagne …Notre
responsabilité issue de l’holocauste nous donne pour mission de nous engager pour l’existence et la
sécurité de l’Etat ». Les autres responsables occidentaux ne seront pas en reste. Ce complexe à l’égard
de leur propre attitude, odieuse pour les uns et honteuse et lâche pour d’autres, vis-à-vis de cette
tragédie dicte leur politique présente. Une politique qui fait du bourreau israélien la victime. Nulle
part on n’évoque le drame du peuple palestinien dépossédé de sa terre et contraint, depuis les années
40, à choisir entre le cercueil ou l’exil et pour ceux qui n’ont pu être déracinés à vivre sous un régime
d’apartheid en attendant leur expulsion, conséquence de la politique sournoise d’épuration ethnique
mise en oeuvre. Bien sûr les œillères de l’occident ne permettent pas de voir de ce côté-ci de la
barrière.
Objectifs de la guerre
Les objectifs de cette guerre, déclinés avant le lancement même des opérations de bombardement,
sont connus depuis longtemps. Il s’agit d’abord de neutraliser le Hamas et de démanteler son
infrastructure, ce qui entrainerait dans son sillage celles de tous les autres mouvements de résistance
armée qui activent à Gaza.
L’autre objectif, sous jacent, est d’opérer un transfert d’une grande partie de la population qui y vit
vers le Sinaï égyptien ou, à défaut, la concentrer dans la partie sud du territoire qu’elle finira par
quitter, faute de conditions minimales pour la survie. Ce qui permettrait d’en finir définitivement avec
toute résistance armée et de clore le dossier de la revendication d’un Etat national palestinien aux
frontières de 1967.
Le Hamas a-t-il été manipulée par les services spéciaux israéliens pour engager son opération
militaire ? Ces derniers lui auraient fait croire que la crise interne, qui secoue le pays depuis quelques
mois, a provoqué des fissures importantes au sein de l’armée et des services de sécurité, ce qui
réduirait leur capacité de riposte. L’ouverture des hostilités permettrait alors à l’armée de mettre à
exécution son plan de démantèlement militaire et politique du Hamas. Ou alors il aurait décidé sur la
base de sa propre évaluation et donc des objectifs qu’il s’est fixés de lancer son opération militaire ?Au
delà de ces interrogations, l’opération du Hamas est intervenue dans un contexte de forte tension du
fait des exactions du gouvernement de l’extrême droite religieuse dirigé par Netanyahu et des colons
contre la population palestinienne, l’intensification de la politique de colonisation et les tentatives
répétées portant atteinte à la sacralité de la Mosquée Al Aqsa et des lieux de culte chrétien. Devant
la faible riposte de l’Autorité Nationale Palestinienne (ANP) voir son incapacité à agir, et l’absence de
perspectives politiques pour la mise sur rails d’un véritable processus de négociations autour de la
création de l’Etat national palestinien, le Hamas a choisi le recours aux armes. Ce qui a permis de
remettre la question palestinienne à l’ordre du jour de la communauté internationale alors qu’elle
était en voie de marginalisation suite aux « Accords d’Abraham » qui ont ouvert la voie à la
normalisation des relations entre Israël et les pays arabes sur la base du principe de « la paix contre la
paix » et non plus la « paix contre les territoires »
Le Hamas se repositionne également sur la scène palestinienne alors qu’il était menacé d’être
disqualifié par la remise sur selle de l’APN, dans le cadre de l’accord de normalisation des relations
entre l’Arabie Saoudite et Israël qui était en cours de négociations.
SCENARIO POUR L’APRES GUERRE
Le démembrement du Hamas va créer un vide et poser le problème de l’administration du territoire.
Plusieurs options sont évoquées dans les cercles israéliens de réflexions et d’analyses stratégiques.
La première serait une occupation totale du territoire donc un retour à la situation d’avant le retrait
unilatéral décidé par le Gouvernement Sharon en 2005. Elle serait coûteuse pour Israël au plan
politique, militaire, et financier et viendrait à contre courant du processus initié par les Etats Unis à
travers les ‘’ Accords d’Abraham’’ et le Forum du Néguev. (1)
La seconde serait de placer le territoire sous protectorat internationale .Une option jugée irréaliste
car elle ne pourrait pas bénéficier d’un soutien international.
La troisième enfin, qui parait la plus plausible, est de remettre le territoire à l’APN qui en avait la
charge avant d’être chassée en 2007 après des affrontements fratricides entre le Fatah et le Hamas.
La gestion se ferait en coordination avec Israël et l’Egypte. Elle a toutefois des préalables. Un retour
de la direction actuelle de l’APN à Gaza, dans les conditions actuelles, ne peut pas être interprété
autrement que comme un retour sur un char israélien et sur le corps de milliers de victimes. Ce qui lui
enlèvera le peu de crédit qui lui reste auprès de la population. Les responsables en sont conscients
d’où leur refus d’une telle issue qui pourrait entrainer l’effondrement de l’ANP, fragilisée par sa
gestion des accords d’Oslo qui ont fini par la transformer, aux yeux de beaucoup de palestiniens, en
supplétif de l’armée et des services de sécurité israélien. Ces accords ont été réduits par le
gouvernement Israélien au seul volet de la coordination sécuritaire.
La viabilité de cette option, soutenue par les Etats unis, les pays de l’Union Européenne et des pays
arabes de la région est tributaire d’un nouveau leadership politique à la tête de l’ANP qui la rendrait
plus acceptable par la population palestinienne. Le passage de témoin par le Président Mahmoud
Abbas serait donc la condition, cela est d’autant plus probable que la course à sa succession, évoquée
depuis quelques années déjà, s’est accélérée au cours des derniers mois. Les nominations auxquelles
il a procédé, au sein de l’OLP et de l’APN, ont fourni des indications sur les choix possibles. (2)
Cette option dispose d’une autre variante qui consisterait à confier l’administration du territoire à
une équipe de technocrates coordonnée par l’ancien Premier Ministre, Salam Fayyad, de 2007 à 2013,
date de sa démission. L’homme est présenté comme proche des américains et donc acceptable pour
Israël et les pays de la région. Cette administration, qui assurerait la gestion en coordination avec
l’ANP, serait responsable de la reconstruction de Gaza et, à ce titre, recevrait directement les
financements.
Visiblement, les stratèges israéliens ne veulent pas rééditer l’expérience américaine en Irak qui a
démantelé le Baath et mis tous les cadres sur la touche créant un vide institutionnel et un vivier pour
les divers mouvements de résistance à l’occupation américaine et autres liés au terrorisme. Faut-il
mettre cette expérience US sur le compte d’une erreur ou sur celle d’un calcul politique réfléchi pour
plonger le pays dans le ‘’chaos créateur’’ prôné et mis en œuvre par la droite évangéliste qui a
gouverné les Etats Unis durant cette période ?
Cependant, une fois la question de la gouvernance du territoire réglée, se posera celle de la
reconstruction et de la relance de l’activité économique pour une population qui se retrouve sans
emplois et sans ressources. Américains et israéliens parient, non sans raisons, sur un financement de
la reconstruction de Gaza par les pays arabes du Golfe, l’Union Européenne, les Etats Unis et le Forum
du Néguev. Les projets évoqués dans ce cadre portent sur divers domaines dont l’énergie, le
dessalement de l’eau, les infrastructures, l’industrie et la création d’emploi avec y compris la
facilitation de la circulation des personnes. Parmi tous ces projets celui du gaz est sans doute le plus
important .Il serait question non seulement de fourniture de gaz israélien au district de Gaza mais
aussi du gisement gazier off shore, situé au large de ses côtes. Les discussions autour de son
exploitation, qui avait été freinées par Israël, seraient très avancées entre l’APN, Israël et l’Egypte.(3)
Epuration ethnique
Au delà de ces projections la tendance lourde de la stratégie israélienne demeure invariable :
l’épuration ethnique. Les bombardements massifs du district de Gaza visent à provoquer un exode
massif de la population qui y vit vers le Sinaï égyptien. Un premier pas vers l’établissement d’un Etat
pour les palestiniens à Gaza et sur une partie du territoire du Sinaï qui serait cédée par l’Egypte dans
le cadre d’un échange y compris de territoire avec Israël. (4) Ce qui rendrait ce futur Etat viable et à
même d’accueillir la population qui vit à Gaza et celle se trouvant en Cisjordanie contrainte, elle aussi,
à l’exil. L’Egypte s’est opposée à ce transfert et marqué officiellement son refus pour la création d’une
patrie de rechange pour les palestiniens. Position invariable ou momentanée ? L’avenir le dira. Ce
projet, pensé par des centres de recherche israéliens, est relativement ancien. Il emporte, cependant,
l’adhésion des décideurs car il permettra de résoudre la question démographique à laquelle Israël est
confronté depuis sa création pour en faire enfin un Etat pour les seuls juifs. En effet, sur le long terme,
la solution d’un seul Etat n’est pas viable car elle ne pourrait se réaliser que dans le cadre d’un système
d’apartheid qui finira, tôt ou tard, par imploser. Et c’est d’ailleurs ce système qui est pratiqué à
l’endroit de la population arabe israélienne pour la pousser à quitter sa terre.
Ces projections reposent sur le postulat d’une résistance palestinienne totalement domestiquée qui
servirait de partenaire et donc sur l’élimination de toutes les factions attachées à une solution fondée
sur la création d’un Etat national aux frontières de 1967 avec pour capitale El Qods orientale et le
retour des refugiés, le minimum acceptable tel que défini par l’OLP. Elles accordent aussi une place
déterminante à l’économie. Selon les concepteurs, la relance du développement économique au sein
des territoires occupés et, plus globalement, dans la région à travers le maillage qui est en train de se
mettre en place, permettra une amélioration substantielle des conditions de vie des populations .Ce
qui permettrait de dépasser la revendication nationale.
La malédiction d’Oslo
Les accords d’Oslo ont fait éclater le consensus entre factions palestiniennes forgé durant de longues
années de lutte et marginalisé la centrale palestinienne.(5) Dans le contexte régional et international
actuel , Il est peu probable que l’ANP, avec sa direction actuelle ou à venir, puisse sortir de ce
processus, remettre sur rails l’OLP et reprendre les négociationslà où elles s’étaient arrêtées à Madrid
en 1993.(6) Cependant, sur la scène politique palestinienne les forces traditionnelles ne sont plus
seules. Une nouvelle génération de militants, sans attaches politiques ou organisationnelles connues,
est en train d’émerger. Elle est en train d’ouvrir des horizons nouveaux pour la lutte du peuple
palestinien ce qui peut fausser tous les calculs.
Cette guerre, contrairement à ce qu’escomptaient ses planificateurs, ne pourra pas rayer le Hamas
de la carte politique. En dépit de moyens militaires insignifiants, il a réussi à briser l’encerclement de
Gaza et à infliger des pertes à une armée israélienne autrement plus équipée et surtout réputée
invincible. Le mouvement, qui est sur une position nationale, a gagné en soutien à l’échelle de la rue
arabe mais aussi sur la scène palestinienne.
A.S
* L’auteur, ancien journaliste, a été Rédacteur en Chef d’Algérie Actualités
et Directeur Général du Quotidien du soir Horizons
1- Voir in Politis Nr 7 Mai 2022 Sommet du Néguev : Deux ou trois vérités sur une rencontre
2- Voir in Politis Nr 22 Aout septembre 2023 Palestine : Une succession sur fonds d’incertitudes
3- Voir in Politis Nr 8 juin 2022 Europe/Energie : Cap sur la méditerranée orientale
4- Voir in Politis Nr 2 Décembre 2021 Etat Palestinien : Entre intransigeance israélienne et …dispersion des rangs
5- Idem
6- Idem
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