Entretien
Emmanuelle Hervé, présidente fondatrice d’EH&A, A Crésus : «Dans la dictature de la transparence, la corruption finit toujours par se voir !»
Entretien réalisé par S. Méhalla
Crésus : Au sujet du Web, vous évoquez la dictature de la transparence. Expliquez-nous cette nouvelle notion et comment en est-on arrivé-là !
Emmanuelle Hervé : Nous en sommes arrivés-là parce qu’il y a eu rupture de la confiance. Lorsqu’on regarde les statistiques, notamment les enquêtes de Sciences Po ou autres, on voit que seulement une personne sur quatre croit en ce que racontent les médias déjà. Dans ce que racontent les autorités, les agences –agences de santé, les ministres et également de ce que racontent les chefs d’entreprise et, surtout, les grandes entreprises cotées. Au fait, quand les gens n’ont pas confiance, l’on se demande alors qui sont les gens qui font confiance. L’on se rend compte que ce sont les citadins –gens de la ville – les journalistes et les gens qui font l’opinion. En gros, ils font confiance à eux-mêmes et ça s’arrêt-là. Le grand public ne fait pas confiance en ce que disent les gouvernements, les autorités et les médias. Du coup, cette confiance s’est translatée sur internet par l’effet internet, ce qu’on appelle l’effet Tripadvisor. Des avis qui circulent sur le net par la magie du peer to peer – pair to pair. Ce sont des gens que donnent les gens sur internet pour un séjour, pour des vacances, pour, pour… Au fait, je vais faire confiance à un père de famille avec un certain profil et qui émet un commentaire. Ceci, pour dire que la confiance est aujourd’hui sur internet. On fait beaucoup plus confiance au copain de facebook qui répond à une rumeur sur un sujet quelconque qu’aux médias qui traitent du même sujet. C’est comme ça que l’on a aujourd’hui des théories du complot, diverses et variées, qui fleurissent énormément sur internet et que l’on a beaucoup de mal à éliminer. Pour contrecarrer cela, les grands médias tels que Le Monde, Google, même le staff de Macron mettent en avant le fact checking. Il y a le décodex du journal Le Monde pour les détections des fausses nouvelles. Facebook fait aussi du fact cheeking… Les choses commencent à s’organiser et même Internet est quelque chose d’assez récent d’une certaine manière. C’est donc la dictature de la transparence parce qu’au départ vous aviez confiance de ce que disaient les grandes institutions, de ce que disaient les gens et les médias et quand il n’y a pas confiance on oblige à la transparence. On vous oblige donc à publier vos comptes, votre fortune, etc.. Ça crée un climat de dictature, certes, mais ça ne va pas restaurer la confiance. Pour les entreprises, ce climat les oblige d’être sur un mea culpa si elles sont épinglées. Elles ne peuvent plus se cacher derrière leur petit doigt, grâce au phénomène internet qui a changé les choses. On ne peut plus se dire que ça ne va pas se voir, que ça va s’arranger… Ça n’existe plus ça. C’est un phénomène fondamental pour les entreprises.
Finalement, la transparence ne résout pas le problème de la confiance ?
Pas du tout ! La transparence est un palliatif. La transparence si on la fait à moitié ne donne rien. On a vu cela avec la crise de Volkswagen. Ils ont menti durant une année aux Etats-Unis – mentir pour un Américain, c’est grave, c’est un problème culturel aussi et surtout cette marque : la rigueur allemande, la sécurité…– et on s’aperçoit qu’ils ont fait les guignols comme si c’étaient des Italiens. Plus vous donnez, par la pub, le marketing, une image de vous-même plus que lorsque l’on se rend compte que c’est une fausse image et plus les gens sont déçus. Par exemple, tel candidat. Sa campagne a été bâtie contre la corruption, lui plus blanc que blanc. Et, forcément, le jour où les gens lui ont sorti ses casseroles, qu’il était aussi pourri que les autres, les choses étaient plus graves. La transparence, non, elle ne va jamais remplacer la confiance.
Comment gérer une crise de confiance dans une grande entreprise?
Dans une entreprise, il est très facile de casser la confiance que de la restaurer. Je dis toujours de faire attention déjà à ne pas la casser. C’est comme la réputation, on va mettre des siècles à la construire et 10 minutes pour la détruire. La première chose est de se dire : Qu’est-ce que je pourrais éviter de faire pour ne pas casser la confiance dans mon entreprise. Eviter les injonctions contradictoires qui rendent les gens un peu fous. On va dire par exemple que l’entreprise fait un super résultat et tout d’un coup on ferme l’usine. Lorsque la confiance est très endommagée, comment que l’on pourrait gérer la crise ? Il faut chercher les bonnes personnes, en particulier les tops-managements. Il y a deux solutions, une interne et l’autre externe. En interne, on peut changer le bonhomme ou la bonne femme surtout quand on fait plus confiance dans une personne en particulier. Mettre quelqu’un d’autre pourrait être une solution. A l’extérieur, souvent, les entreprises qui ont subi de grandes crises changent de nom. Il y a des cas comme ça. Les sociétés restent là mais elles changent de nom. Derrière, il y a des changements structurels à faire en profondeur. Dans le management. Une autre chose à faire aussi, c’est de faire faire un audit financier par un cabinet d’experts de renommée. Crédible et légitime.
Genre KPMG ?
Surtout pas, ils se sont fait prendre en Afrique du Sud pour corruption avec GuptaLeaks. Ils sont cramés. BDO, oui, une boîte française et qui sont aujourd’hui 4e au monde. Ils ont inventé un truc assez génial, un software qui nous dispense même de se déplacer. Ils repèrent toutes les anomalies des flux, emails, comptes… L’Oréal a adapté cette technique sur toutes leurs filiales en particulier. La corruption finit toujours par se voir. Le truc est qu’aujourd’hui tout finit par se voir.
Pourquoi ?
Parce qu’au-delà d’internet, il y a le phénomène des lanceurs d’alertes qui aujourd’hui sont protégés par la loi. Si vous êtes à l’intérieur d’une entreprise et que vous avez l’impression d’un comportement qui n’est pas éthique, le patron ne s’arrête pas de s’acheter des Rolls – je donne un exemple – vous pouvez, tout en étant protégé, de lancer une alerte. Vous ne pouvez pas être licencié ni personne ne vous reprochera quoi que ce soit. Ce qui fait que beaucoup de gens aujourd’hui «forwardent» un email, photocopient des docs pour des journaux qui servent à ça.
Ça va dans l’air du temps, comme avec la levée du secret bancaire…
Tout à fait ! C’est la dictature de la transparence. Les gens crient au secret des affaires. L’autre sens est à jamais interdit maintenant. Par conséquent, les entreprises doivent restaurer la confiance en créant de l’exemplarité.
Je vous pose autrement la question concernant le management. Les entreprises disposent de directeurs de marketing, commercial et communication et pas encore de celui de la «réputation»…
Il y aujourd’hui aux Etats-Unis des brand officers, réputation officer… qui sont en charge de la protection de la réputation. Mais la seule façon qu’il faut faire dans une entreprise c’est de mettre les choses à plat et se poser des questions. Où est-ce qu’on a raté ? Qu’est-ce qu’il faut faire ? Après, il faut le dire aux gens et surtout faire ce qu’on dit. L’exemplarité et de communiquer. Eviter le déni.
Pourquoi, selon vous, les entreprises tardent à mettre en place un canal de communication ? On s’intéresse plus à la vente, au marketing, au volet commercial qu’à l’aspect communication…
Ça c’est un super classique. Quand il y a une crise, le premier réflexe est le déni. «Je ne comprends pas et je ne veux pas savoir qu’il y a une crise.» Tout cela arrive parce qu’il n’y jamais un plan de prévention. Genre qu’est-ce qu’on fait si… quand on n’aime pas faire des plans de prévention ou de crise – parce que ça coûte du temps et de l’argent – on tombe d’abord dans le déni. Dans cette période de déni on ne parle pas. On s’agite en essayant de noyer le poisson. Après, il y a d’autre réactions : la réaction du bouc émissaire, chercher celui qui va porter le chapeau tout en perdant encore du temps. Le troisième phénomène c’est celui de la patate chaude. Chacun la file à son voisin par manque de plan de crise. On ne sait pas qui doit gérer. On n’a pas un process et on ne veut pas déranger le patron. Tout cela fait qu’on perd du temps qui risque de se transformer en avalanche médiatique. Tout cela est au départ une mauvaise évaluation.
Un twitt peut être retwitté 150 fois, peut passer sur facebook, passe aux médias… tout cela s’étudie dans un plan de prévention.
Vous dites, lors d’un entretien qu’il existe aujourd’hui une multitude de logiciels et d’algorithmes permettant de guetter ce qui se dit sur la toile… seriez-vous pour l’utilisation de ces «robots» pour travailler la e-réputation ?
La réputation est aujourd’hui complètement sur internet. Avant, on dit les choses par cible. Aujourd’hui les emails sont sur internet. C’est fini, l’information ciblée. Il faut aujourd’hui aligner l’information. Ce que dit le directeur de marketing à ses clients doit être la même chose avec ce que dit le directeur de Com aux médias au manager, aux autorités ou l’employé dans la queue de la boulangerie. Et la queue de la boulangerie est aujourd’hui Facebook. Il faut avoir un community manager et il ne doit pas être n’importe qui, mais un vrai professionnel. C’est lui qui reçoit tout dans la gueule.
Il faut surveiller. Nous avons pour cela un logiciel de surveillance. La plupart des logiciels surveillent Twitter. Mais ça ne suffit pas. Il faut l’humain derrière qui traite le twitt d’après son auteur. Il faut, en temps de paix, un minimum, un site, un Facebook, un compte Twitter… Il y a toujours des choses à raconter. Moins on sait qui vous êtes et plus vous êtes exposé. Il faut chercher aussi une plateforme neutre.
Qu’est-ce que le droit à l’oubli ?
Une loi européenne. Des gens qui ont payé leur dette mais Google ne supprime pas leur nom du Web. Le droit à l’oubli est une loi qui oblige Google à enlever des URL dans certains cas. Google a été obligé de mettre en place un formulaire pour demander la suppression de vos articles. Ce qui se passe c’est que vous allez envoyer ça dans une espèce de trou noir. Dans la majorité des cas, Google va laisser l’URL.
Nous avons, avec des amis, créé le site Forget me, un site de professionnels qui savent parler à Google pour enlever les URL. En tout cas, avec eux, ça a beaucoup de chance d’y arriver. Ils font des statistiques et tentent de comprendre pourquoi Google supprime ou pas.
C’est Google qui est aujourd’hui le dictateur du monde alors ?
Non, car c’est l’humain qui écrit. Qui poste. Les journalistes qui mettent des articles. Google informe et ne crée pas de contenu ! Il ne faut pas se tromper de combat.
Qu’est-ce que l’Afnor ?
L’Agence française de normalisation. On fait des normes qui deviennent des ISO. L’Afnor a voulu faire une norme NF sur les avis en ligne. Nous avons travaillé avec des grandes marques comme Décathlon, GRDF, Orange, les banques… avec aussi tous les syndicats hôteliers et restaurateurs car ce sont eux qui sont les premiers affectés par les faux avis. Il existe maintenant une norme NF sur les avis en ligne et nous avons porté cette norme à l’international et elle va devenir un ISO. J’ai repris la présidence sur l’e-réputation pour la normaliser, ce n’était pas possible.
S. M.
Actualité
Denis Martinez : Il était une fois Aouchem C’est en pensant à Tahar Djaout et Youcef Sebti, qui étaient ses amis, que je me suis intéressé à l’artiste plasticien Denis Martinez, ancien professeur à l’école des Beaux-arts d’Alger.
Et puis, en lisant sa notice biographique, j’apprends qu’il est né en 1941 à Mostaganem, lieu de naissance d’un autre grand peintre, à savoir Mohamed Khadda, qui a représenté dans ses gravures et ses aquarelles, les troncs et les racines des oliviers des Ouadhias. Quelle coïncidence. Mais pas que, puisque Mostaganem, tout comme Ghazaouet a vu naitre d’autres grands artistes, de la scène cette fois entre autres Ould Abderrahmane Kaki et Abdelkader Alloula (né à Ghazaouet). Ces villes de l’Ouest sont des villes de culture et d’histoire.
Ce qui caractérise Denis Martinez, c’est, en plus de son œuvre picturale qui est magnifique, le fait qu’il a fait partie, au lendemain de l’indépendance, de ceux qu’on peut considérer comme les agitateurs culturels, comme il se rencontre de nos jours des influenceurs et des agitateurs sur les réseaux sociaux : les facebookeurs, les instragameurs, les tiktokeurs, les twiteurs, dont le rôle est prépondérants sur les phénomènes sociaux de mode , de tendances vestimentaires ou autres, et même la façon de penser des nouvelles générations.
Ce groupe dont a fait partie le jeune artiste plasticien Denis Martinez, avec ses amis Choukri Mesli et Mustapha Adnan, s’appelait le groupe Aouchem. Et ce qu’il y a lieu de signaler, c’est que ce groupe avait rédigé un manifeste. Donc, à la base, il y avait une pensée, des idées, un projet culturel, dans lequel on se donnait des racines et on se fixait des objectifs. C’est très sérieux, parce que ça fait penser aussi bien aux Amis du Manifeste de Ferhat Abbas, qu’au Manifeste des surréalistes d’André Breton. Non pas qu’Aouchem se rattachait sur le plan politique à Ferhat Abbas, ni qu’ils s’affiliaient à la doctrine surréaliste, mais je parle ici de la démarche… Je veux dire, qu’au lendemain de l’indépendance, en plein bouillonnement culturel et d’autres questionnements sur le modèle de société à bâtir, il y eut un groupe de jeunes artistes plasticiens algériens qui prenaient la peine et le temps de se structurer, de penser leur mouvement, de réfléchir au sens à donner à leur travail de création, au sein de la jeune société. Dans le même temps, des écrivains algériens créaient l’Union des écrivains algériens, avec des auteurs comme Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Assia Djebbar, Moufdi Zakaria, Malek Haddad…
Aouchem veut dire Tatouage. Il fait référence aux motifs géométriques pratiqués à la surface du corps et dans lesquels on introduit des matières colorantes. Denis Martinez, pour sa part, va encore plus loin, puisqu’il élargit l’éventail aussi bien à l’art pariétal du Tassili, au talisman, au totem, aux masques africains, aux caractères du Tifinagh, aux arabesques, à la calligraphie arabe… Ainsi, on apprend que chez Denis Martinez, «Des totems, talismans, figurines et masques ont longtemps balisé des parcours fléchés comme autant de cheminements initiatiques, puisant dans l’héritage de l’Antiquité africaine et de l’artisanat maghrébin les motifs d’un langage esthétique».
Sous la pression des événements tragiques de la décennie quatre-vingt-dix, Denis Martinez s‘était établi à Marseille, au Sud de la France, mais au début des années 2000, il est revenu en Algérie, pour se ressourcer à l’air vivifiant de sa terre natale, s’inspirant des signes ancestraux pour irriguer de leur sève et de leur énergie ce qui permettait de bâtir un langage esthétique nouveau. D’où l’exposition et le spectacle organisés récemment dans l’enceinte de la villa Abdelatif, et intitulé «Actes de vie», ainsi que «Tretoir m’kessar».
Poète lui-même, Denis Martinez a aussi illustré les plaquettes de Jean Sénac, Tahar Djaout, Hamid Tibouchi, Djamel Amrani, Youcef Sebti. Il est donc au carrefour d’une poly créativité féconde, allant de la palette du peintre aux planches des dramaturges, bâtissant une esthétique plurielle dans ce qu’elle a de beau, de généreux, de profondément africain et maghrébin.
Ahmed B.
Entretien
Entretien avec Nadjib Ferhat : L’homme qui chuchote à l’oreille des fossiles Notre histoire a été écrite par les autres… Il était temps que des historiens et chercheurs algériens dépoussièrent les archives pour restituer la vérité sur notre passé, notre identité et notre personnalité. Avec Nadjib Ferhat, nous faisons une virée dans la préhistoire.
Question : On dit que l’Afrique est considérée comme le berceau de l’humanité.
Réponse : Bien sûr, l’Afrique est incontestablement le berceau de l’humanité. Les plus anciens fossiles d’australopithèques sont connus sur le sol africain. On peut citer Lucy, un australopithèque daté de 3,2 millions d’années, ou bien l’homme de Toumaye, autour de quatre millions d’années. A partir de là, l’expansion humaine s’est faite dans plusieurs directions.
Question : Les recherches ont montré que la présence humaine est attestée depuis des millénaires dans la région du Maghreb. Y a-t-il une continuité de peuplement dans cette région du monde ?
Réponse : Bien sûr. Les travaux menés depuis les années cinquante par les préhistoriens ont été confirmés ces dernières années par la reprise et la continuité des fouilles sur les sites mêmes de An Ahnech et Ain Boucherit. Ce sont en fait un seul et même paléo lac autour duquel ont vécu des hommes il y a deux millions et quatre cent mille ans. C’est la plus ancienne date obtenue sur des ossements d’animaux (hippopotames, éléphants, ancêtres des chevaux, etc…) qu’on a connus au Maghreb. Depuis, le peuplement du Maghreb tout comme celui du Sahara fut un continuum ininterrompu jusqu’à nos jours.
Question : Vous avez employé, au cours d’une intervention, l’expression de capitale numido-romaine en parlant de Cirta, comme d’autres ont utilisé l’expression gallo-romaine… Quel fut l’apport des Numides à la civilisation romaine ?
Réponse : Vous savez, l’histoire est contée toujours avec certaines idées qu’on veut inculquer à l’apprenant. Je m’explique. L’histoire comme elle nous a été apprise dans notre jeunesse par les instituteurs du moment fait état de la civilisation grecque, et de la civilisation romaine, deux faits culturels majeurs qui ont imprégné le peuple autochtone du Maghreb. Ces mêmes livres d’histoire parlent d’arts musulmans, au lieu de culture musulmane, comme si l’arrivée des musulmans n’a pas apporté une véritable culture civiisationnelle avec elle. Les livres d’histoire en France parlent de culture grecque, mais à l’arrivée des Romains, on retrouve la notion de culture gallo-romaine, voulant ainsi dire à leurs apprenants que quand les Romains sont arrivés, ils avaient trouvé une culture gauloise qui était déjà présente. Nous partons du fait que les Romains n’ont pas colonisé le Maghreb en voulant s’y installer mais ont plutôt adopté une politique de romanisation des locaux. Ainsi donc, on peut dire que ce ne sont pas les Romains qui ont bâti toutes les villes antiques ou laissé des vestiges de cette époque à travers le territoire, mais ce sont plutôt nos ancêtres numides qui les ont bâtis. C’est la raison pour laquelle il est judicieux de parler de culture numido-romaine de ces vestiges et non pas de culture romaine, afin de ne pas omettre l’apport des Numides.
Question : Certains ont une vision stratifiée de l’histoire du Maghreb, opposant les périodes les unes contre les autres… En quoi cette vision est-elle erronée ?
Réponse : L’histoire du peuplement du Maghreb est sans aucun doute un continuum depuis l’homo habilis représenté par l’homme de Ain Ahnech (Ain Boucherit) il y a 2,4 millions d’années à nos jours. Toutes les cultures et les civilisations qui sont venues par la suite se sont ajoutées à une souche préalablement présente. Ces arrivées multiples à travers l’histoire ont parfois été belliqueuses et d’autres fois amicales. En revanche, elles se sont toutes fondues avec les locaux, leurs descendants devenant eux-mêmes des locaux. Toute cette dialectique que l’histoire nous relate a un impact sur la spécificité de l’Algérien, tel qu’on le connait de nos jours. Ce n’est qu’en reconnaissant et en assumant toute son Histoire avec ses hauts et ses bas que l’Algérien pourra être fier de son passé, assurant son présent dans le concert des Nations et pouvant sereinement construire son avenir en toute confiance.
Question : Les amateurs d’archéologie et de préhistoire regrettent l’absence d’une revue de vulgarisation spécialisée. Le financement d’une telle revue est-il si difficile ?
Réponse : Vous savez, pour une revue, ce n’est pas la création qui est difficile. Je vais parler d’un exemple quasi personnel. J’ai collaboré il y a quelques années à une revue qui s’appelait Assekrem, du nom de l’un des plateaux du Hoggar. Cette revue se voulait une revue destinée au milieu estudiantin, mettant à sa disposition des articles traitant de diverses sciences mais dans un langage simplifié. Le problème de cette revue n’était point celui de trouver des auteurs d’articles. Toute personne à qui on s’adressait était contente de proposer un papier sans demander une contrepartie. Mais le problème était celui de son financement. Après une longue période de déficit, on a mis la clef sous la porte. En outre, il a existé une revue de haut standing scientifique et culturelle qui s’appelait Libyca, qui par un laisser-aller incompréhensible de la part du ministère de la culture, a fini par disparaitre. Actuellement, il y a une seule revue qui traite du patrimoine archéologique à l’échelle nationale, c’est une revue du mouvement associatif qui s’appelle Ikosim. Pour qu’une revue puisse exister et vivre, il y a lieu de mettre en place une véritable politique et une volonté de faire connaitre son patrimoine à la société, et bien entendu, cela doit être accompagné d’un soutien financier conséquent.
Question : Les gravures rupestres sont un atout touristique indéniable. Dans le même temps, on signale des dégradations. Quelles sont les mesures à prendre pour concilier le tourisme et la protection des sites ?
Réponse : Bien sûr, les gravures sont un atout touristique incontestable. Mais la mise en tourisme de tout le patrimoine fait partie d’une volonté politique. Cependant, la protection du patrimoine n’est pas seulement l’affaire de l’Etat et de ses structures, mais l’affaire de tous. Pour que le patrimoine culturel, archéologique notamment, soit admis et reconnu par tout un chacun, il est de première nécessité d’une part que les gens soient imprégnés de son importance, depuis la cellule familiale en passant par l’école jusqu’à la vie active. Et d’autre part, il faut que ce patrimoine ne soit plus considéré par les gestionnaires comme un handicap au développement socio-économique de leur région. Mais plutôt comme une valeur ajoutée à leur programme. Néanmoins, pour que ce patrimoine soit préservé, il faut que les populations qui vivent à proximité puissent y voir une source d’apport financier et qu’ils en vivent. Ce n’est que par le truchement et un mélange de tous ces ingrédients que le patrimoine archéologique sera reconnu et sauvegardé. Et c’est ainsi qu’il intégrera le développement socio-économique des territoires et des populations.
Ahmed B.
Actualité
Entretien avec Nadjib Ferhat : L’homme qui chuchote à l’oreille des fossiles Notre histoire a été écrite par les autres… Il était temps que des historiens et chercheurs algériens dépoussièrent les archives pour restituer la vérité sur notre passé, notre identité et notre personnalité. Avec Nadjib Mahfoud, nous faisons une virée dans la préhistoire.
Crésus : Avec vous, on entre de plain-pied dans les temps reculés de la préhistoire, à savoir le quaternaire. Que représente pour vous cette période géologique ?
Nadjib Ferhat : C’est une période qui représente pour moi, l’émergence de l’humanité. En effet, chacune des périodes géologiques connues, comme le primaire, le secondaire, le tertiaire et le quaternaire se distingue par l’apparition ou la disparition d’un fossile. Le quaternaire se distingue du tertiaire par l’apparition du fossile homme. C’est ce qui nous amène tout de suite à considérer le quaternaire comme étant la période où apparait l’homme, et l’étude du quaternaire implique directement l’étude de cet homme en tant que fossile géologique mais aussi comme producteur de culture. D’où la définition de la préhistoire : c’est l’étude de cet homme et de ses productions culturelles, depuis son apparition jusqu’à l’invention des écritures. Là où commence l’histoire.
Vous avez entre autres, travaillé sur les industries préhistoriques de la paléo vallée de Timimoune dans leur contexte stratigraphique. Peut-on résumer les résultats de ces recherches ?
C’est une recherche que j’ai menée fin des années 70, début des années 80, où j’ai eu le bonheur et la chance d’étudier la mise en place de la sebkha de Timimoune et la mise en place du grand Erg occidental en suivant l’évolution des installations humaines préhistoriques dans la région. Cela a permis de situer la disposition actuelle de la vallée de Timimoune en tant que sebkha depuis l’obstruction des eaux qui lui parvenaient de l’Atlas saharien par l’installation de l’actuelle Erg occidental. Cette disposition date de la civilisation atérienne, à savoir depuis quarante mille ans.
Vous avez également dirigé des fouilles archéologiques dans des sites des régions de Boussaâda et du Tassili Ajjer. Existe-t-il des ressemblances entre les deux sites ?
Le travail exécuté à Boussaâda en 76-77 a permis la confirmation de travaux antérieurs mettant en évidence une phase climatique aride située autour de treize mille ans, qui a eu pour conséquence l’obstruction et le remblaiement par des amas sableux de toute l’écluse (ouverture) du piémont sud de l’Atlas saharien. Ces travaux ont permis de démontrer une diminution des nappes d’eau et un déplacement des limites bioclimatiques dans cette région. Une culture préhistorique a été mise en évidence au sommet de ces remblaiements, celle d’une population ibéro-maurassienne qui occupait les lieux à ce moment-là (13 000 ans). Par contre le travail sur le Tassili était beaucoup plus complexe, s’étalant sur de nombreuses années. Tout d’abord, il y eut une participation aux travaux de fouille du site de Tin Hanakaten, au sud du Tassili. Puis il y eut un second axe : pour une mise au point chrono-stratigraphique de l’art rupestre saharien par la conjonction d’une étude paléogéographique et géomorphologique en relation avec un art gravé dans l’oued Tidunadj (Tassili toujours). Cette étude menée en collaboration avec deux autres collègues a permis de démontrer que l’art rupestre saharien est paléolithique et non plus uniquement néolithique, comme beaucoup le croyaient jusqu’à une date récente. Maintenant, il est confirmé que l’art rupestre du centre du Sahara date au moins de l’aride pré-ocène, une période qui s’étale entre vingt et onze mille ans. En troisième lieu, j’ai eu la chance de diriger une fouille préhistorique sur une nécropole animale que nous avons datée du sixième millénaire. Cette nécropole s’étale sur 80 ha dans l’oued Maukhan (Tassili). Les travaux nous ont permis de mettre en évidence un rituel autour du bœuf que pratiquaient les hommes préhistoriques. Ces pratiques cultuelles se résumaient en la mise en terre dans des fosses de 80 cm à 1 m de diamètre sur 1,20 m de profondeur, différentes parties du jeune bœuf sacrifié en mettant la partie postérieure à la base, le reste de l’animal par-dessus avec quelque fois le crâne fiché au milieu de l’inhumation. (Le museau vers le bas). Tout comme nous avons mis en évidence que ces animaux étaient mis dans des sacs avant leur enterrement. Des traces de raclage de la chair sur des os nous permettent de croire que toute la chair était enlevée et que certains os étaient même calcinés, accompagnés de poterie et d’autres vestiges dans l’inhumation.
Dans les temps les plus reculés, le Sahara peut-il être considéré comme une mer intérieure ou plutôt comme un grand lac ? Quelles furent les conséquences de son assèchement sur l’évolution de l’homme ?
Depuis l’apparition de l’homme, le Sahara est dans l’état actuel, avec cependant des nuances, de déplacement des limites bioclimatiques, qui ont permis au Sahara, par moment de gagner en humidité, devenir un peu plus clément pour l’habitat (hommes, animaux, végétation), donnant des paysages certes un peu plus vert mais limités dans l’espace. Par d’autres moments, d’intenses périodes arides et sèches ont affecté le milieu saharien. C’est cette aridité qui a été le facteur le plus imposant et le plus déterminant dans l’évolution climatique du Sahara. L’actuelle aridité est présente depuis au moins les deux derniers millénaires.
(Suite de l’entretien dans l’édition de demain)
Ahmed. B
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