Entretien
Abdelmadjid Attar, ancien ministre de l’Energie à Crésus : «L’Opep+ veut éviter un dérèglement du marché» Dans cet entretien, accordé à Crésus, l’ancien ministre et expert en énergie, M Abdelmadjid Attar, revient sur l’actualité du marché pétrolier, dont notamment la dernière réunion de l’alliance Opep+
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- Abdelmadjid Attar, ancien ministre de l’Energie à Crésus : «L’Opep+ veut éviter un dérèglement du marché» Dans cet entretien, accordé à Crésus, l’ancien ministre et expert en énergie, M Abdelmadjid Attar, revient sur l’actualité du marché pétrolier, dont notamment la dernière réunion de l’alliance Opep+ https://www.cresus.dz/?p=52360">
Dans cet entretien, accordé à Crésus, l’ancien ministre et expert en énergie, M Abdelmadjid Attar, revient sur l’actualité du marché pétrolier, dont notamment la dernière réunion de l’alliance Opep+, la courbe des prix du marché pétrolier et l’instabilité qui s’y est installé, ainsi que les répercussions de la décision des pays occidentaux de sanctionner le secteur énergétique russe.
Crésus – Comment analysez-vous la dernière décision de l’Opep+ qui a décidé de maintenir inchangés les quotas de production?
Abdelmadjid Attar : La décision était prévisible parce que si on analyse globalement le contexte énergétique mondial depuis la sortie des impacts de la pandémie Covid- 19 et ceux du conflit russo-ukrainien, on constate que le problème n’est pas la disponibilité des ressources énergétiques, notamment les hydrocarbures, mais le prix de l’énergie elle-même, surtout au niveau des pays les plus gros consommateurs (OCDE).
Ceci est valable surtout pour le pétrole dont la production ou la disponibilité, notamment si on prend en considération les volumes souvent destinés à la spéculation et au stockage qui sont énormes, sont en adéquation avec la demande et la consommation mondiale. C’est ce que l’Opep+ n’arrête pas de déclarer en suivant de près le marché pour éviter un dérèglement qui pourrait être fatal à ses membres.
Il faut quand même reconnaître que cette stratégie a réussi à stabiliser le marché depuis un peu plus d’une année, grâce au contrôle des 42% de la production pétrolière mondiale, en attendant d’avoir plus de visibilité sur le devenir du secteur face aux mutations économiques et géopolitiques.
On a accusé l’Opep+ de vouloir augmenter les prix à travers la coupe décidée, alors que c’est l’inverse qui se passe sur le marché aujourd’hui avec un baril de Brent en chute en dessous de 80 dollars.
L’incertitude et l’instabilité pèsent sur le marché pétrolier et gazier. Quels en sont les facteurs et les raisons ?
Vous avez tout à fait raison, car si le marché est aussi volatile, c’est justement à cause des incertitudes liées non pas à la disponibilité des réserves et à l’offre qui ne posent aucun problème, mais plutôt à :
– l’impact d’une récession mondiale très probable, sur la consommation, et par conséquent sur la demande, d’où la menace d’une chute importante du prix du baril. C’est ce que l’Opep+ craint et surveille de près, y compris en réduisant sa production alors que d’autres producteurs comme les USA poussent la leur à son maximum.
– L’impact des facteurs géopolitiques (conflits) qui sont en train d’entraîner la réorganisation des voies des échanges des ressources énergétiques dans un monde qui n’était pas préparé au point de vue capacités de production et de transport, et encore moins au point de vue recours à des ressources énergétiques renouvelables. On le constate particulièrement en Europe.
– Un autre facteur important, hérité de la pandémie du Covid-19, mérite d’être cité, et concerne la politique «zéro Covid» de la Chine, dont la relance de sa consommation n’est pas encore garantie malgré les annonces qui ont suivi les dernières manifestations dans ce pays qui est le plus gros importateur de pétrole dans le monde.
Les pays de l’OCDE imputent les risques de récession à l’augmentation du prix de l’énergie et ont un seul objectif: faire baisser le prix du pétrole et du gaz pour le moment et réorganiser à court terme les voies des échanges dans le monde à leur profit, en attendant un nouveau départ de leurs stratégies de transition énergétique vers de nouvelles ressources et de nouveaux modèles de consommation.
Comment voyez-vous justement l’impact sur le marché des sanctions ciblant les importations russes ?
A mon avis, c’est une fuite en avant qui entraînera encore plus de tension non seulement sur le marché à court terme avec une baisse du baril comme on le constate actuellement, puis très probablement un prix élevé du baril de pétrole et du gaz à moyen terme si l’application des sanctions est effective.
Mais sur le terrain, le plafonnement du prix du baril de pétrole russe à 60 dollars, combiné à l’interdiction d’assurance des pétroliers le transportant, va probablement entraîner la naissance d’une sorte de nouveau marché pétrolier dans le transport maritime de pétrole, dont les acteurs sont de nouveaux propriétaires ou ceux qui ont déjà décidé de quitter les registres européens.
Il existe actuellement « plus de 1000 navires pétroliers fantômes dans les flottes de la Russie, de l’Iran et du Venezuela » sur les 11716 à l’échelle mondiale. Pas moins de 400 nouveaux pétroliers ont été achetés par des inconnus !
En principe, le pétrole russe dont le prix moyen n’est pas loin du plafond annoncé, devrait continuer à se vendre sans difficultés majeures, et parfois au rabais une première fois, puis spéculé et revendu au prix du marché en tant que tel ou transformé en produits pétroliers tant que le monde en aura besoin. Dans ces conditions, le marché demeurera volatile sur plusieurs mois à condition que les rangs de l’Opep + demeurent solides.
Mais Il est probable aussi que l’objectif non avoué derrière les sanctions et plus particulièrement le plafonnement du prix du baril de pétrole russe, soit une baisse sur l’ensemble du marché pétrolier. C’est ce qui préoccupe en ce moment tous les membres de l’Opep+ en attendant ce qui va se passer dans les semaines à venir. Par contre, ce qui est à craindre, c’est le ralentissement probable dans les investissements en amont (exploration-production), et cela ne sera profitable ni aux pays producteurs ni à ceux importateurs à moyen terme, au moment où on ressentira une baisse importante des capacités de production, entraînant alors une forte hausse du baril sur le marché.
Il en sera de même pour le gaz naturel mais de façon différente car pour le moment 70% du gaz échangé dans le monde se fait par gazoducs contre 30% en GNL. La seule possibilité de remplacer le gaz russe à moyen terme ne peut se faire qu’à travers le GNL, mais les capacités de liquéfaction des grands pays producteurs, ni le nombre de méthaniers, et encore moins les infrastructures de regazéification chez les pays consommateurs, ne sont en mesure de répondre aux besoins actuellement. Les investissements nécessaires ne vont pas tomber du ciel, et le prix du million de BTU demeurera le même durant de nombreuses années, parce que le gaz conservera sa place durant plusieurs décennies encore dans le mix énergétique et les différentes industries chimiques.
Face à tous ses développements, la solidarité Russie-Opep est-elle menacée ?
Elle a bien tenu depuis 2020, et aucun de ses membres n’a intérêt à agir dans le sens contraire, au risque de voir le prix du baril s’écrouler bien en dessous de 40 dollars, peut-être moins, pour des pays producteurs dont l’économie est malheureusement dépendante de la rente pétrolière. Ils sont tous conscients maintenant que les enjeux sont de taille, à caractère surtout économique, face à des mutations géopolitiques qui vont donner naissance à de nouvelles alliances. Il ne sera possible d’avoir sa place et de préserver son indépendance économique, et bien sûr énergétique -ce que visent les pays développés-, qu’en se débarrassant de la rente, le plus rapidement possible, y compris à travers une transition énergétique telle qu’elle est envisagée dans tous les pays.
Dans ce contexte, quel sera selon vous, le devenir des hydrocarbures?
A mon avis, la possession de réserves de pétrole ne sera pas un atout important à terme, ce qui n’est pas le cas du gaz naturel qui a encore de beaux jours devant lui. C’est plutôt l’énergie qu’on est en mesure de produire et de la rendre accessible qui est importante parce qu’elle conditionne le développement tout comme l’eau et l’intelligence. Alors qu’on soit capable de la produire à partir de ressources fossiles ou renouvelables à condition qu’on les possède, est certes important, mais l’essentiel est aussi de savoir ce qu’on en fait en valorisant cette énergie dans le futur, et non en la transformant en nouvelle rente addictive.
Les hydrocarbures vont demeurer encore longtemps dans le mix énergétique, mais de moins en moins, surtout en ce qui concerne le pétrole. La crise énergétique actuelle qui a en réalité démarré bien avant le conflit russo-ukrainien de 2022, a introduit définitivement de nouveaux comportements et par conséquent des stratégies des consommateurs (pays et industries) qui se focalisent sur l’indépendance énergétique à moyen et long terme.
Les producteurs de ressources, pays et compagnies, ont tout intérêt à revoir leurs stratégies en les basant sur le rôle, le poids, et la valorisation à terme de l’énergie qui en découle et non la ressource énergétique elle-même, car cette dernière pourrait se transformer en « piège de dépendance » directe ou indirecte très bientôt. Toujours est-il qu’il y a tellement d’incertitudes en ce moment dans ce domaine, qu’il vaut mieux adopter des positions prudentes et de veille continue, en ayant sous la main des «des scénarios de rebondissement» plutôt que de continuer à rêver autour du prix du baril de pétrole.
Interview réalisée par Meriem A.
Actualité
Denis Martinez : Il était une fois Aouchem C’est en pensant à Tahar Djaout et Youcef Sebti, qui étaient ses amis, que je me suis intéressé à l’artiste plasticien Denis Martinez, ancien professeur à l’école des Beaux-arts d’Alger.
Et puis, en lisant sa notice biographique, j’apprends qu’il est né en 1941 à Mostaganem, lieu de naissance d’un autre grand peintre, à savoir Mohamed Khadda, qui a représenté dans ses gravures et ses aquarelles, les troncs et les racines des oliviers des Ouadhias. Quelle coïncidence. Mais pas que, puisque Mostaganem, tout comme Ghazaouet a vu naitre d’autres grands artistes, de la scène cette fois entre autres Ould Abderrahmane Kaki et Abdelkader Alloula (né à Ghazaouet). Ces villes de l’Ouest sont des villes de culture et d’histoire.
Ce qui caractérise Denis Martinez, c’est, en plus de son œuvre picturale qui est magnifique, le fait qu’il a fait partie, au lendemain de l’indépendance, de ceux qu’on peut considérer comme les agitateurs culturels, comme il se rencontre de nos jours des influenceurs et des agitateurs sur les réseaux sociaux : les facebookeurs, les instragameurs, les tiktokeurs, les twiteurs, dont le rôle est prépondérants sur les phénomènes sociaux de mode , de tendances vestimentaires ou autres, et même la façon de penser des nouvelles générations.
Ce groupe dont a fait partie le jeune artiste plasticien Denis Martinez, avec ses amis Choukri Mesli et Mustapha Adnan, s’appelait le groupe Aouchem. Et ce qu’il y a lieu de signaler, c’est que ce groupe avait rédigé un manifeste. Donc, à la base, il y avait une pensée, des idées, un projet culturel, dans lequel on se donnait des racines et on se fixait des objectifs. C’est très sérieux, parce que ça fait penser aussi bien aux Amis du Manifeste de Ferhat Abbas, qu’au Manifeste des surréalistes d’André Breton. Non pas qu’Aouchem se rattachait sur le plan politique à Ferhat Abbas, ni qu’ils s’affiliaient à la doctrine surréaliste, mais je parle ici de la démarche… Je veux dire, qu’au lendemain de l’indépendance, en plein bouillonnement culturel et d’autres questionnements sur le modèle de société à bâtir, il y eut un groupe de jeunes artistes plasticiens algériens qui prenaient la peine et le temps de se structurer, de penser leur mouvement, de réfléchir au sens à donner à leur travail de création, au sein de la jeune société. Dans le même temps, des écrivains algériens créaient l’Union des écrivains algériens, avec des auteurs comme Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Assia Djebbar, Moufdi Zakaria, Malek Haddad…
Aouchem veut dire Tatouage. Il fait référence aux motifs géométriques pratiqués à la surface du corps et dans lesquels on introduit des matières colorantes. Denis Martinez, pour sa part, va encore plus loin, puisqu’il élargit l’éventail aussi bien à l’art pariétal du Tassili, au talisman, au totem, aux masques africains, aux caractères du Tifinagh, aux arabesques, à la calligraphie arabe… Ainsi, on apprend que chez Denis Martinez, «Des totems, talismans, figurines et masques ont longtemps balisé des parcours fléchés comme autant de cheminements initiatiques, puisant dans l’héritage de l’Antiquité africaine et de l’artisanat maghrébin les motifs d’un langage esthétique».
Sous la pression des événements tragiques de la décennie quatre-vingt-dix, Denis Martinez s‘était établi à Marseille, au Sud de la France, mais au début des années 2000, il est revenu en Algérie, pour se ressourcer à l’air vivifiant de sa terre natale, s’inspirant des signes ancestraux pour irriguer de leur sève et de leur énergie ce qui permettait de bâtir un langage esthétique nouveau. D’où l’exposition et le spectacle organisés récemment dans l’enceinte de la villa Abdelatif, et intitulé «Actes de vie», ainsi que «Tretoir m’kessar».
Poète lui-même, Denis Martinez a aussi illustré les plaquettes de Jean Sénac, Tahar Djaout, Hamid Tibouchi, Djamel Amrani, Youcef Sebti. Il est donc au carrefour d’une poly créativité féconde, allant de la palette du peintre aux planches des dramaturges, bâtissant une esthétique plurielle dans ce qu’elle a de beau, de généreux, de profondément africain et maghrébin.
Ahmed B.
Entretien
Entretien avec Nadjib Ferhat : L’homme qui chuchote à l’oreille des fossiles Notre histoire a été écrite par les autres… Il était temps que des historiens et chercheurs algériens dépoussièrent les archives pour restituer la vérité sur notre passé, notre identité et notre personnalité. Avec Nadjib Ferhat, nous faisons une virée dans la préhistoire.
Question : On dit que l’Afrique est considérée comme le berceau de l’humanité.
Réponse : Bien sûr, l’Afrique est incontestablement le berceau de l’humanité. Les plus anciens fossiles d’australopithèques sont connus sur le sol africain. On peut citer Lucy, un australopithèque daté de 3,2 millions d’années, ou bien l’homme de Toumaye, autour de quatre millions d’années. A partir de là, l’expansion humaine s’est faite dans plusieurs directions.
Question : Les recherches ont montré que la présence humaine est attestée depuis des millénaires dans la région du Maghreb. Y a-t-il une continuité de peuplement dans cette région du monde ?
Réponse : Bien sûr. Les travaux menés depuis les années cinquante par les préhistoriens ont été confirmés ces dernières années par la reprise et la continuité des fouilles sur les sites mêmes de An Ahnech et Ain Boucherit. Ce sont en fait un seul et même paléo lac autour duquel ont vécu des hommes il y a deux millions et quatre cent mille ans. C’est la plus ancienne date obtenue sur des ossements d’animaux (hippopotames, éléphants, ancêtres des chevaux, etc…) qu’on a connus au Maghreb. Depuis, le peuplement du Maghreb tout comme celui du Sahara fut un continuum ininterrompu jusqu’à nos jours.
Question : Vous avez employé, au cours d’une intervention, l’expression de capitale numido-romaine en parlant de Cirta, comme d’autres ont utilisé l’expression gallo-romaine… Quel fut l’apport des Numides à la civilisation romaine ?
Réponse : Vous savez, l’histoire est contée toujours avec certaines idées qu’on veut inculquer à l’apprenant. Je m’explique. L’histoire comme elle nous a été apprise dans notre jeunesse par les instituteurs du moment fait état de la civilisation grecque, et de la civilisation romaine, deux faits culturels majeurs qui ont imprégné le peuple autochtone du Maghreb. Ces mêmes livres d’histoire parlent d’arts musulmans, au lieu de culture musulmane, comme si l’arrivée des musulmans n’a pas apporté une véritable culture civiisationnelle avec elle. Les livres d’histoire en France parlent de culture grecque, mais à l’arrivée des Romains, on retrouve la notion de culture gallo-romaine, voulant ainsi dire à leurs apprenants que quand les Romains sont arrivés, ils avaient trouvé une culture gauloise qui était déjà présente. Nous partons du fait que les Romains n’ont pas colonisé le Maghreb en voulant s’y installer mais ont plutôt adopté une politique de romanisation des locaux. Ainsi donc, on peut dire que ce ne sont pas les Romains qui ont bâti toutes les villes antiques ou laissé des vestiges de cette époque à travers le territoire, mais ce sont plutôt nos ancêtres numides qui les ont bâtis. C’est la raison pour laquelle il est judicieux de parler de culture numido-romaine de ces vestiges et non pas de culture romaine, afin de ne pas omettre l’apport des Numides.
Question : Certains ont une vision stratifiée de l’histoire du Maghreb, opposant les périodes les unes contre les autres… En quoi cette vision est-elle erronée ?
Réponse : L’histoire du peuplement du Maghreb est sans aucun doute un continuum depuis l’homo habilis représenté par l’homme de Ain Ahnech (Ain Boucherit) il y a 2,4 millions d’années à nos jours. Toutes les cultures et les civilisations qui sont venues par la suite se sont ajoutées à une souche préalablement présente. Ces arrivées multiples à travers l’histoire ont parfois été belliqueuses et d’autres fois amicales. En revanche, elles se sont toutes fondues avec les locaux, leurs descendants devenant eux-mêmes des locaux. Toute cette dialectique que l’histoire nous relate a un impact sur la spécificité de l’Algérien, tel qu’on le connait de nos jours. Ce n’est qu’en reconnaissant et en assumant toute son Histoire avec ses hauts et ses bas que l’Algérien pourra être fier de son passé, assurant son présent dans le concert des Nations et pouvant sereinement construire son avenir en toute confiance.
Question : Les amateurs d’archéologie et de préhistoire regrettent l’absence d’une revue de vulgarisation spécialisée. Le financement d’une telle revue est-il si difficile ?
Réponse : Vous savez, pour une revue, ce n’est pas la création qui est difficile. Je vais parler d’un exemple quasi personnel. J’ai collaboré il y a quelques années à une revue qui s’appelait Assekrem, du nom de l’un des plateaux du Hoggar. Cette revue se voulait une revue destinée au milieu estudiantin, mettant à sa disposition des articles traitant de diverses sciences mais dans un langage simplifié. Le problème de cette revue n’était point celui de trouver des auteurs d’articles. Toute personne à qui on s’adressait était contente de proposer un papier sans demander une contrepartie. Mais le problème était celui de son financement. Après une longue période de déficit, on a mis la clef sous la porte. En outre, il a existé une revue de haut standing scientifique et culturelle qui s’appelait Libyca, qui par un laisser-aller incompréhensible de la part du ministère de la culture, a fini par disparaitre. Actuellement, il y a une seule revue qui traite du patrimoine archéologique à l’échelle nationale, c’est une revue du mouvement associatif qui s’appelle Ikosim. Pour qu’une revue puisse exister et vivre, il y a lieu de mettre en place une véritable politique et une volonté de faire connaitre son patrimoine à la société, et bien entendu, cela doit être accompagné d’un soutien financier conséquent.
Question : Les gravures rupestres sont un atout touristique indéniable. Dans le même temps, on signale des dégradations. Quelles sont les mesures à prendre pour concilier le tourisme et la protection des sites ?
Réponse : Bien sûr, les gravures sont un atout touristique incontestable. Mais la mise en tourisme de tout le patrimoine fait partie d’une volonté politique. Cependant, la protection du patrimoine n’est pas seulement l’affaire de l’Etat et de ses structures, mais l’affaire de tous. Pour que le patrimoine culturel, archéologique notamment, soit admis et reconnu par tout un chacun, il est de première nécessité d’une part que les gens soient imprégnés de son importance, depuis la cellule familiale en passant par l’école jusqu’à la vie active. Et d’autre part, il faut que ce patrimoine ne soit plus considéré par les gestionnaires comme un handicap au développement socio-économique de leur région. Mais plutôt comme une valeur ajoutée à leur programme. Néanmoins, pour que ce patrimoine soit préservé, il faut que les populations qui vivent à proximité puissent y voir une source d’apport financier et qu’ils en vivent. Ce n’est que par le truchement et un mélange de tous ces ingrédients que le patrimoine archéologique sera reconnu et sauvegardé. Et c’est ainsi qu’il intégrera le développement socio-économique des territoires et des populations.
Ahmed B.
Actualité
Entretien avec Nadjib Ferhat : L’homme qui chuchote à l’oreille des fossiles Notre histoire a été écrite par les autres… Il était temps que des historiens et chercheurs algériens dépoussièrent les archives pour restituer la vérité sur notre passé, notre identité et notre personnalité. Avec Nadjib Mahfoud, nous faisons une virée dans la préhistoire.
Crésus : Avec vous, on entre de plain-pied dans les temps reculés de la préhistoire, à savoir le quaternaire. Que représente pour vous cette période géologique ?
Nadjib Ferhat : C’est une période qui représente pour moi, l’émergence de l’humanité. En effet, chacune des périodes géologiques connues, comme le primaire, le secondaire, le tertiaire et le quaternaire se distingue par l’apparition ou la disparition d’un fossile. Le quaternaire se distingue du tertiaire par l’apparition du fossile homme. C’est ce qui nous amène tout de suite à considérer le quaternaire comme étant la période où apparait l’homme, et l’étude du quaternaire implique directement l’étude de cet homme en tant que fossile géologique mais aussi comme producteur de culture. D’où la définition de la préhistoire : c’est l’étude de cet homme et de ses productions culturelles, depuis son apparition jusqu’à l’invention des écritures. Là où commence l’histoire.
Vous avez entre autres, travaillé sur les industries préhistoriques de la paléo vallée de Timimoune dans leur contexte stratigraphique. Peut-on résumer les résultats de ces recherches ?
C’est une recherche que j’ai menée fin des années 70, début des années 80, où j’ai eu le bonheur et la chance d’étudier la mise en place de la sebkha de Timimoune et la mise en place du grand Erg occidental en suivant l’évolution des installations humaines préhistoriques dans la région. Cela a permis de situer la disposition actuelle de la vallée de Timimoune en tant que sebkha depuis l’obstruction des eaux qui lui parvenaient de l’Atlas saharien par l’installation de l’actuelle Erg occidental. Cette disposition date de la civilisation atérienne, à savoir depuis quarante mille ans.
Vous avez également dirigé des fouilles archéologiques dans des sites des régions de Boussaâda et du Tassili Ajjer. Existe-t-il des ressemblances entre les deux sites ?
Le travail exécuté à Boussaâda en 76-77 a permis la confirmation de travaux antérieurs mettant en évidence une phase climatique aride située autour de treize mille ans, qui a eu pour conséquence l’obstruction et le remblaiement par des amas sableux de toute l’écluse (ouverture) du piémont sud de l’Atlas saharien. Ces travaux ont permis de démontrer une diminution des nappes d’eau et un déplacement des limites bioclimatiques dans cette région. Une culture préhistorique a été mise en évidence au sommet de ces remblaiements, celle d’une population ibéro-maurassienne qui occupait les lieux à ce moment-là (13 000 ans). Par contre le travail sur le Tassili était beaucoup plus complexe, s’étalant sur de nombreuses années. Tout d’abord, il y eut une participation aux travaux de fouille du site de Tin Hanakaten, au sud du Tassili. Puis il y eut un second axe : pour une mise au point chrono-stratigraphique de l’art rupestre saharien par la conjonction d’une étude paléogéographique et géomorphologique en relation avec un art gravé dans l’oued Tidunadj (Tassili toujours). Cette étude menée en collaboration avec deux autres collègues a permis de démontrer que l’art rupestre saharien est paléolithique et non plus uniquement néolithique, comme beaucoup le croyaient jusqu’à une date récente. Maintenant, il est confirmé que l’art rupestre du centre du Sahara date au moins de l’aride pré-ocène, une période qui s’étale entre vingt et onze mille ans. En troisième lieu, j’ai eu la chance de diriger une fouille préhistorique sur une nécropole animale que nous avons datée du sixième millénaire. Cette nécropole s’étale sur 80 ha dans l’oued Maukhan (Tassili). Les travaux nous ont permis de mettre en évidence un rituel autour du bœuf que pratiquaient les hommes préhistoriques. Ces pratiques cultuelles se résumaient en la mise en terre dans des fosses de 80 cm à 1 m de diamètre sur 1,20 m de profondeur, différentes parties du jeune bœuf sacrifié en mettant la partie postérieure à la base, le reste de l’animal par-dessus avec quelque fois le crâne fiché au milieu de l’inhumation. (Le museau vers le bas). Tout comme nous avons mis en évidence que ces animaux étaient mis dans des sacs avant leur enterrement. Des traces de raclage de la chair sur des os nous permettent de croire que toute la chair était enlevée et que certains os étaient même calcinés, accompagnés de poterie et d’autres vestiges dans l’inhumation.
Dans les temps les plus reculés, le Sahara peut-il être considéré comme une mer intérieure ou plutôt comme un grand lac ? Quelles furent les conséquences de son assèchement sur l’évolution de l’homme ?
Depuis l’apparition de l’homme, le Sahara est dans l’état actuel, avec cependant des nuances, de déplacement des limites bioclimatiques, qui ont permis au Sahara, par moment de gagner en humidité, devenir un peu plus clément pour l’habitat (hommes, animaux, végétation), donnant des paysages certes un peu plus vert mais limités dans l’espace. Par d’autres moments, d’intenses périodes arides et sèches ont affecté le milieu saharien. C’est cette aridité qui a été le facteur le plus imposant et le plus déterminant dans l’évolution climatique du Sahara. L’actuelle aridité est présente depuis au moins les deux derniers millénaires.
(Suite de l’entretien dans l’édition de demain)
Ahmed. B
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