La campagne avant le premier tour du 14 mai avait été particulièrement tendue. Celle de l’entre-deux-tours est différente sur la forme : Recep Tayyip Erdoğan et Kemal Kılıçdaroğlu ne font pas de grands meetings. Le président, qui avait mené une campagne harassante et était même tombé malade, privilégie cette fois les interviews télévisées. Son rival, qui n’a quasiment pas accès aux télévisions nationales, fait surtout passer ses messages sur les réseaux sociaux. Sur le fond, la campagne de Tayyip Erdoğan n’a pas changé de ligne directrice : présenter Kemal Kiliçdaroglu comme le « candidat des terroristes », en particulier du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK. Son camp diffuse massivement un montage vidéo- une infox- qui associe des images de Kemal Kiliçdaroglu à celles de chefs du PKK. Quant à son rival, Kemal Kiliçdaroglu, il a mis de côté sa stratégie d’apaisement du premier tour et fait campagne sur le nationalisme. Il s’en prend chaque jour aux réfugiés syriens, avec parfois des arguments qui ne sont pas loin, eux aussi, des infox. Il y avait un troisième candidat au premier tour, Sinan Ogan. Il a récolté 5,2% des suffrages. Cette semaine, il a appelé à voter Erdoğan. Le vote pour Sinan Ogan était moins un vote d’adhésion qu’un vote de rejet des deux autres candidats. Il se définit comme « nationaliste atatürkiste », en référence au fondateur de la République, Mustafa Kemal Atatürk. On pourrait donc penser que Tayyip Erdoğan et son islamo-nationalisme n’attirent pas particulièrement ceux qui ont voté pour lui -en particulier du fait de son alliance avec des partis islamistes, notamment le Hüda-Par, un parti islamiste kurde. C’est aussi à l’actuel président que les électeurs de Sinan Ogan reprochent la présence de millions de réfugiés syriens, dont l’expulsion immédiate était la principale promesse de campagne de Sinan Ogan. Toutefois, il ne faut pas négliger l’effet du discours de Recep Tayyip Erdoğan, qui affirme depuis des mois que Kemal Kılıçdaroğlu est le candidat du PKK. Le fait que le parti de gauche pro-kurde HDP ait appelé à voter pour lui- ce qui représente un apport de voix important- n’aide pas Kemal Kiliçdaroglu à contrer la rhétorique du chef de l’État et à séduire l’électorat le plus nationaliste. Si Erdoğan conserve ses électeurs du premier tour, il lui manque moins de 300.000 voix pour l’emporter dimanche 28 mai et entamer une troisième décennie au pouvoir. Kemal Kiliçdaroglu, lui, a récolté 2,6 millions de voix de moins que le président au premier tour. Son éventuelle victoire est donc tributaire de la mobilisation de ses électeurs du premier tour, de ceux qui ne sont pas allés voter, et du soutien qu’il recevra des électeurs de Sinan Ogan.