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L’intellectuelle Nawal Sadaoui : Et Le paradoxe de la femme arabe Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre. Les intellectuels et les influenceurs n’écumaient pas encore les réseaux sociaux.
Internet n’existait pas. On ne chattait pas sur Messenger. On n’allait pas sur Facebook pour poster ses photos de gâteaux d’anniversaire. Ni sur Twitter pour exprimer ses opinions de dernière minute et ses états d’âme. Et encore moins sur Tiktok pour exécuter un entrechat ou filmer un pas de danse. A l’époque dont je vous parle, les intellectuels et les agitateurs sociaux publiaient des livres, distribuaient des tracts ou s’exprimaient dans des colloques.
C’était l’époque où l’intellectuelle Nawal Sadaoui, née au Caire, au bord du Nil, menait son combat homérique contre les tabous du sexe et de la religion. Entre autres, et même si c’est une pratique que nous ne connaissons pas sous nos cieux, son combat contre l’excision des filles est resté dans les mémoires. Elle a aussi longtemps fustigé la polygamie et le port du voile islamique… C’est la raison pour laquelle, cette écrivaine et psychiatre mondialement connue, fut une figure fortement contestée par les conservateurs en Egypte, mais pas que… Elle s’était longtemps battue pour l’émancipation de la femme et arabe, elle fut même emprisonnée en 1981 pour s’être opposée à la loi du parti unique sous Anouar El-Sadat.
Or, c’est là que réside le paradoxe. Alors que le courant représenté par Nawal Sadaoui, et d’autres femmes intellectuelles arabes, semblaient prendre de l’ampleur. – On prenait conscience un peu partout qu’il fallait en finir avec la femme soumise, la femme objet, la femme confinée derrière les fourneaux et les couches-bébés, et cela à l’échelle du monde arabe, au bord du Nil, de l’Euphrate, du Rummel, enfin partout quoi… Eh bien il y eut un retournement de situation… Au fil des ans, le temps contredisait Nawal Sadaoui, et ce sont les thèses plus consensuelles et traditionnalistes qui semblaient avoir le vent en poupe. On peut même parler d’un retour de bâton, d’un effet boomerang. A la fin des années quatre-vingt et début des années quatre-vingt-dix, connues comme étant celles de la montée en puissance du courant intégriste, les choses changent du tout au tout… Pourquoi ? D’où ça vient ? Des bataillons entiers d’intégristes formés en Afghanistan et ailleurs étaient au-devant de la scène… Des tragédies d’un autre âge, commanditées on ne sait d’où, ont endeuillé les sociétés musulmanes… Des intellectuelles comme Nawal Sadaoui, celle qu’on a surnommée la Simone de Beauvoir du monde arabe, étaient mises sur la touche… Le voile islamique s’impose dans les différentes couches de la société, au lycée, à l’université, dans les lieux de travail, dans la rue, enfin partout quoi ! Pour être bien vue, une femme ne doit plus mettre en avant son cambât pour l’égalité des sexes, ne plus se battre pour le rôle de la femme, elle ne doit plus vilipender les structures sociales patriarcales.
L’autre paradoxe, c’est que, dans le même temps, la femme arabe a acquis droit de cité. Dans le monde du travail, les femmes ont investi des secteurs entiers : comme l’éducation, la santé, la justice… Ces secteurs se sont féminisés. La femme est enseignante, médecin, infirmière, juge ou avocate, tout comme elle est laborantine, secrétaire de direction. Les femmes ont acquis beaucoup de droits, elles ont des diplômes, elles sont procureurs ou profs d’université, voire même ministres ou chefs d’entreprises. A la maison, elles ont la machine à laver, des robots derniers cris, le smartphone et tout un tas de gadgets, et en même temps, sur le plan vestimentaire, on voit que le voile s’est imposé comme mode incontestable, à une échelle jamais égalée. On est bien loin des mini-jupes des années soixante-dix adoptées juste après les indépendances. On observe que la femme a acquis un confort matériel incroyable, mais elle s’impose un choix vestimentaire traditionnel assumé dans la plupart des cas… Elle offre une vitrine de pudeur et se complait dans un conformisme social qu’elle a délibérément choisi, généralement de plein gré. Est-ce que ce conformisme est le prix à payer par la femme pour qu’elle continue à s’imposer au travail et à l’université ? C’est un débat qui intéresse et les femmes et les hommes.
Ahmed B.